mardi 7 mai 2013

Semi-marathon de Genève 2013.




J'adore quand un plan se déroule sans accroc.

Good job !




















Et pourtant, la partie était loin d'être gagnée avant que ... mais je m'égare, petit rappel des faits :

Dimanche 3 mai 2013, 5h30, mon réveil sonne, je suis en retard ... déjà.
Je ne suis pas du matin, c'est pas nouveau, alors les courses avec départ à 8h30 sont un vrai calvaire pour moi. Je devrai avoir fini de déjeuner à 5h30 pour laisser trois heures à mon estomac pour digérer glucides et protéines, mais non, je reste scotché, la tête engluée dans l'oreiller ... grumpf.
Vu la peine que j'ai à décoller mes paupières l'une de l'autre, mon seul neurone en état d'activité me conseille une douche, plutôt fraîche et rapide histoire de mettre mon corps en mode "faut y aller mon gars!".
Trente minutes plus tard je sors de la salle de bain qui, finalement, s'est transformé en sauna ... re-grumpf, je suis ronchon. Qu'est-ce-que je fous debout à c't'heure là un dimanche matin alors qu'il fait encore nuit dehors ? Personne ne m'entends faire le vieux con, c'est mieux comme ça.
Je termine mon petit dèj avec une heure de retard sur mon planing, tant pis, mon estomac finira sa digestion pendant la course ou même un autre jour s'il veut. Aujourd'hui, il n'y en a que pour mes jambes, alors tous les autres organes sont priés de se faire oublier, au mieux de prendre quelques heures de rtt, on se revoit vers midi.


En rejoignant la ligne de départ je suis impatient, excité et fier de remettre enfin un dossard sur la poitrine (en plus y'a mon prénom dessus !! Trop la classe intergalactique). C'est un sentiment étrange. La sensation de faire partie, d'un groupe, d'un clan voir même d'une équipe ... oui, c'est ça, une équipe !
On est tous venu pour la bagarre, pour en découdre avec les autres et avec soi-même, mais sur la ligne de départ on fait tous partie de la même équipe. L'équipe qui part affronter la route, le chrono, les kilomètres et la douleur. On sait que dans quelques instant, il n'y aura plus de pitié, mais sur la ligne on se regarde dans les yeux, on est tous solidaire et on sait que le "bonne course" prononcé est sincère.

Bon, c'est bien beau tout ça mais à quelques minutes du départ, c'est l'heure du pipi de la peur (voir ici pour ceux qui n'ont pas suivi). Je vous la fait courte, aujourd'hui le pipi de la peur a décidé d'être un peu plus consistant et je n'ai pas l'intention de tester la petite bouteille d'Evian avec trois milles personnes autour de moi ... faudra serrer les fesse et courir vite, pas le choix mon gars.

BANG !! C'est parti.


Il y a dans cette photo un gars en train de pisser dans une bouteille d'eau.
Sauras-tu le retrouver ?


Quoi, déjà ??
Nan sans déconner les gars faudrait prévenir un minimum : j'en étais au stade du pré-échauffement, à savoir bâillement intensif et étirement de la mâchoire, quand trois milles gugusses en short fluo sont prêt à me passer sur le corps. Gloups !

L'esprit encore embrumé je me laisse porter par le flot de runners.
Ma tactique est claire : me faire plaisir sur cette course. 
Pas de vrai objectif, juste une deadline que je n'aimerai pas franchir, et encore ce ne serait pas bien grave.
Donc le truc c'est de me caler à une allure de 4'30''- 4'35'' au kilomètre jusqu'au 15eme et après lâcher les chevaux si y'en a encore dans le moteur, ou bien si je suis dans le dur, serrer les dents, les fesses et tout le toutim pour franchir la ligne d'arrivée tant bien que mal.

Je pars donc à l'attaque de mon premier kilomètre vraiment à la cool. On me double à droite, à gauche, ça frotte de partout mais je ne veux pas m'enflammer, toutes mes connexions ne sont pas encore opérationnelles. Je préfère perdre 10 voir 20 secondes mais laisser le temps à la machine de prendre le bon tempo.

Kilomètre 1 avalé en 4'19'' ... j'hallucine complet. J'ai l'impression de tourner au ralenti alors que ma montre m'indique tout le contraire. Toutes les connexions ne sont pas encore opérationnelles, vraiment ... il y a des infos qui ne sont pas encore parvenues à mon cerveau.
Je décide de lever le pied (et même les deux, c'est mieux pour courir!) car c'est vraiment vite pour un départ. Je ralenti donc la cadence et me fait doubler de plus belle, ça commence à me titiller cette histoire.

Kilomètre 2 : 4'11'' ... j'y comprends rien à rien O_o
J'ai l'impression de traînasser dans la campagne Genevoise alors que je fais péter des temps de passage de fou !
Comme dans la chanson de Francis Cabrel, j'ai beau essayer de ralentir, ça continue encore et encore ... 4'20''- 4'21''- 4'26''- 4'15'' ...
Il me faudra arriver au premier ravitaillement au 8ème kilomètre pour voir enfin un 4'31'' sur mon chrono.

Mais bon, je ne boude pas mon plaisir. Je cours léger, avec une facilité et une aisance incroyable. C'est  le bonheur, je me surprends même à chantonner dans ma tête.
La différence entre chanter et chantonner est minime, mais elle existe. Le gars qui chantonne, il fredonne du Barry White alors que tout le monde entend du Kad Mera ... la loose quoi.
Je ne serai jamais capable de chanter, de chantonner oui ... et encore...

Et comme mes jambes n'ont  besoin ni de mon chantonnage ou de ma volonté pour avancer, je profite de tout ce qui m'entoure.
J'en profite pour regarder les spectateurs qui nous regarde courir. Je peux voir dans leurs yeux un mélange d'envie et d'effroi à la fois.
Je profite de la météo clémente.
Je profite du parcours magnifique avec une vue sur le Lac Léman et le Jura devant moi ... c'est beau, c'est chez moi, j'adore.
Je profite aussi de mes compagnons de course et je m'amuse de leur tenue, de leur façon de courir, de respirer.
Bref, je profite de tout, c'est un moment intense que de se sentir en phase avec son corps et son environement, limite jouissif.


I believe I can fly ...
... I believe I can touch the sky.


Je boucle mes dix premiers kilomètres en 43'28'' sur une moyenne de 4'21'' ... c'est du tout bon, je continue sur ma lancée, c'est plus que parfait comme ça, les Dieux du running sont avec moi aujourd'hui, c'est sûr !

Après avoir longé le Lac Léman, on attaque un petit tour en ville et je sens apparaître les premiers signes de fatigue : les mollets qui chauffent un peu, les articulations qui grimacent de temps à autre ... mais rien d'insurmontable, d'autant plus que le public désormais un peu plus nombreux me pousse et me redonne un peu d'énergie. Du coup, alors que cela faisait quelques kilomètres que je m'étais calé sur mon rythme de 4'30'', je m'enflamme et lâche la bride sur un coup de sang : 4'18'' au 15ème, je suis pas sûr à l'instant que c'était une bonne option.
Qu'importe, même si les jambes commencent à se raidir un peu, que ma foulée devient moins légère, moins aérienne, je continue psychiquement à survoler mon épreuve.

Reste 6 kilomètres, une broutille, une paille ... mais je ne me sens pas la force d'accélérer. Je sens que je touche mes limites et que le final va être rude. Je reste au chaud dans mon petit groupe quand vient le petit coup de cul du 18ème kilomètre.
Une petite montée de rien du tout quoi, tout juste 200 voir 300 mètres mais j'arrive en haut explosé, raide mort !

Je tente de me reconnecter à mes jambes mais visiblement, je viens d'en perdre le contrôle. Impossible de relancer, de retrouver mon rythme. Je me fait lâcher par mon groupe et je vois, impuissant, les secondes défilées : 4'46'' au 18ème, ça fait mal et la suite risque de ne pas être très réjouissante.
Bref, je fais un petit état des lieux : reste trois kilomètres à courir, un peu moins de 15 minutes. Je suis cuis, cramé, seul, lâché par mon groupe 50 mètres devant. Le moral en a pris un coup et mon orgueil aussi.

Holly Shit, pas moyen de lâcher l'affaire maintenant ... ce sera tout ou rien !
Je sais que je ne reviendrai pas au train sur mon groupe, alors je tente le coup de pocker du siècle : à trois kilomètres du but, je lance mon sprint pour revenir sur les 10 runners devant moi.
50 mètres, ça fait une accélération sur 15 voir 20 secondes, après je me mets dans le paquet, je fais un double-noeud avec mes lacets au short du gars devant moi et je me laisse traîner jusqu'à l'arrivée ... sur le papier ça a l'air jouable.

Je lance la machine et là, truc incroyable, tout s'emballe.
Je devais avoir une bombe de nitro planquée dans les chaussettes, genre Bip-Bip et le Coyote.

Hasta la vista, baby

Mes jambes, que j'étais prêt à offrir au premier lépreux venu, déroulent une foulée venue de nulle part. Tout s'accélère, je reviens sur le groupe en trois enjambées ... Incroyable !! Et puisque ça fonctionne, j'enchaîne et je déboule sur l'avenue de la ligne d'arrivée comme un mort de faim.

Kilomètre 19 avalé en 4'25'', puis le 20ème en 4'13'' et enfin le dernier en 4'09'' !!!

Je rattrape les concurrents les uns après les autres : le petit trapu avec sa foulée rasante, la fille avec ses jambes de gazelle et sa queue de cheval, le jeune avec son short Hawaïen ...
Je cours vite, et à chaque foulée encore plus vite ... je n'ai plus de sang dans les cuisses, l'adrénaline coule à flot. 
C'est grisant cette impression d'être inarrêtable, d'avoir envie de crier :
-"Poussez-vous !!! Je n'ai plus de frein !!!"

Mais mes sens commencent à me lâcher : d'abord mes oreilles qui n'entendent plus les cris de la foule, puis ensuite ma vue qui commence à se troubler avec l'impression désagréable d'avoir le soleil en pleine figure.
Physiquement je ne ressens plus la douleur non plus, ce qui n'est pas réellement un bon signe puisque je commence à avoir la sensation de courir à côté de mon propre corps.

Ça devient dur de doubler, tout le monde sprint dorénavant, mais les encouragements de ma famille venue me supporter me donne l'envie de me dépasser encore plus.
Je vais chercher les dernières molécules de glucide et de volonté pour envoyer tout ce qu'il me reste dans la centaine de mètres restante.
Ma fille m'encourage en sprintant à côté de moi sur le trottoir et j'ai envie de lui montrer que même si c'est dur et douloureux, je veux aller au bout du bout, finir le boulot.

J'ai effectué le dernier tronçon a un rythme de 3'00'' au kilomètre (20 km/h) et je passe la ligne d'arrivée le point rageur, dans un état second.

1 heure, 32 minutes et 26 secondes. 128 ème. Mon deuxième meilleur temps sur cette distance :) Happy



Happy, mais à ce moment là tout est flou, et je vois tout en slow-motion.
Apparemment je ne dois pas être joli à voir puisque deux secouristes (de la croix rouge?) viennent vers moi en courant la mine genre inquiète. Ils me prennent par la taille et me parlent, visiblement toujours en slow-motion :
-" Bwaman çaaaa bwwwaaaaaa ?
Je devine qu'ils s'inquiètent pour mon état de santé mais je ne suis pas encore capable de parler. Je veux juste de l'air, respirer ...
Je les regarde droit dans les yeux et leur fait signe que c'est ok, sauf si Adriana Karembeu est dispo pour une réanimation, ce qui n'a pas l'air d'être le cas ... tant pis pour elle.
Je reprends tranquillement mes esprits dans le sas d'arrivée et je retrouve des copains déjà là ,et les autres qui arrivent un peu plus tard.
Un seul mot sur les lèvres de tout le monde, invariablement :
ALORS ?



Alors on se refait le film, alors on se raconte nos exploits, alors on se trouve des excuses mais comme au départ où on était tous dans la même équipe, à l'arrivée, quelque soit notre temps, notre place, on est tous fier de faire partie de cette communauté, de l'avoir fait et d'avoir été jusqu'au bout.
On se serre la main, à la prochaine ... parce qu'à la prochaine, on ne lâchera encore moins, à la prochaine on sera encore plus fort, à la prochaine on sera encore plus fier ... pas d'avoir été le plus rapide, le plus grand ou bien  le meilleur.

La prochaine, on sera fier d'avoir touché ce petit quelque chose tout au fond de nous, on sera fier d'avoir été nous-même.

Bravo à tous ceux qui ont participé et MERCI à tous ceux qui nous ont encouragé, de près comme de loin.

6 commentaires:

  1. Sympa ta prose, amusant de voir "l'envers du décors"
    Tu peux retrouver une photo de toi sur mon site en ligne:
    http://unartvisuel.photoshelter.com
    en utilisant la fonction de recher par ton n° de dossard. Un décors autrement plus sympa que le béton & goudron des autres photos de "pro"
    Dis moi ce que tu en penses et fait suivre l'info ^^

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    1. Excellentes les photos, et c'est sur que les décors sont plus sympa. Sur la mienne (3411) il y a même le petit jeune avec son short Hawaïen, trop fort :)
      Merci pour l'info, je transmet ;-)

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  2. salut Stéphane!
    encore un super CR et une très belle épreuve! j'adore ta façon d'écrire :-)
    a+ Michèle

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    1. Merci Michèle :)
      C'est toujours agréable de voir que mes lignes plaisent.
      @+ STeF

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  3. Bravo pour cette verve et cette perf. J'adore!

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