jeudi 8 septembre 2016

La remontada. saison 2, épisode 1.


* TDS 2016 *


Un conseil cher lecteur avant d'aller plus loin : installe toi confortablement dans ton canapé, avec une boisson, quelques chips et je pense une petite demi-heure à tuer afin de dévorer le récit qui va suivre. Cela fait maintenant pile-poil un an que je ne suis pas venu raconter quelque chose sur ce blog (désolé, j'étais aux toilettes), donc autant te dire que j'en ai des trucs à écrire, et surtout à propos de cette fameuse TDS, qui fut, de mon point de vue, simplement monstrueuse ! J'espère que mon récit sera à la hauteur ...
Tu es prêt ? Alors go !

Souviens toi l'été dernier


Mercredi 26 août 2015, sur le coup des 21h30, au Cormet de Roselend à mi-parcours de la TDS, je rends avec un certain soulagement mon dossard au commissaire de course. (lire ici)



Premier abandon sur une course, je peux vous dire qu'elle en a laissé des traces : 2 mois complet sans sport et des remises en question dans tous les sens. Je voulais comprendre.

Après avoir suspecté ma planification et mes entraînements, puis mon plan de ravitaillement et enfin ma stratégie de course, finalement c'est au niveau du mental que j'ai trouvé mes réponses. Je ne devais pas me le cacher, c'est dans ma tête que je n'étais pas prêt. Point barre.
Donc je décide d'y retourner sur cette TDS, mais cette fois accompagné de deux de mes copains : Tof et Tom avec qui je vais faire presque toute ma préparation, tant au niveau des entraînements que des courses préparatoires.
Je ferai une saison des plus merdiques jamais réalisées pour cause de mauvaise gestion d'une fatigue accumulée en début d'année pour le marathon de Paris. Qu'importe, cette année je mets le point dans la poche : l'objectif c'est la TDS, rien d'autre. On fera les comptes le jeudi 25 août une fois la ligne passée.

A coté de ça, j'ai essayé de me faire une préparation mentale en me projetant un maximum à chaque fois que c'était dur à l'entraînement ou pendant les courses préparatoires.

Et à chaque fois que je n'en pouvais plus, je me disais :
-"Tu vois mon gars, dans quelques mois tu seras dans cet état là en train de grimper ce col ci, et il faudra continuer, serrer les dents et avancer encore et encore ..."
Ça vaut ce que ça vaut, mais en attendant, je me sentais prêt pour la grande aventure !




Je vous refais un topo ?


Bon, pour ceux qui n'ont pas suivi la saison 1 de la TDS, ou pour ceux qui auraient oublié (putain faut suivre les gars quand-même), voici un petit rappel de ce qu'est la Trace des Ducs de Savoie :

120 km, 7'250 mètres de dénivelé, départ de Courmayeur le mercredi matin à 6h00, arrivée le jeudi dans la matinée, voir en début d'après-midi, à Chamonix en étant passé par Bourg Saint Maurice et quelques cols mythiques dont certains à plus de 2'500 mètres d'altitude (Col Chavannes, Passeur de Pralognan, Col du tricot ...)



Afin de corser un peu la chose, il faudra prendre en compte deux paramètres non négligeables cette année :

1/ La chaleur : plus de 33°C annoncés au plus chaud de la journée, ça va faire des (gros) dégâts !

2/ Les barrières horaires (ou BH pour les intimes) : ce sont les "stop" indiqués sur le plan ci-dessus.
Si vous n'êtes pas passés au Lac Combal, par exemple, avant 9h45, vous êtes éliminé de la course, sans avoir la possibilité de la terminer.
Sans aucune prétention, mon niveau fait que je ne m'inquiète jamais des BH sur les courses. Même quand je ne suis pas bien, j'ai toujours une bonne marge ... donc no soucis (attention spoiler !), mais quelque chose me dit que je vais devoir ravaler un peu de ma prétention cette fois ci ... mmh mmh mmh



Gentlemen, start your engines !


Le décor est planté, me voici donc ce mercredi 24 août 2016 sur la ligne de départ de Courmayeur.



Je retrouve Tof et Tom, la dream team est au complet.

On retrouve aussi Christophe, un Gessien, qui prévoit lui de faire sa course sur son rythme.
A quelques minutes du coup de pistolet, je fais remarquer à mes collègues une petite Asiatique derrière nous, qui semble vouloir faire sa course ... en tongs ?!!!
En quelques secondes, la voici propulsée "star" du départ. On veut tous savoir si elle va vraiment courir 120 bornes en schlpas, ou si y'a un truc, genre caméra cachée, ou si c'est une arnaque avec du "argent, ziouplè argent donné moa ..." à la clé.
Non, visiblement elle est sérieuse, elle nous explique juste qu'elle a une paire de five-fingers (je vous laisse chercher sur google pour ceux qui n'ont jamais vu ces chaussures ultra minimalistes à doigts de pied) pour franchir les pierriers, le reste, c'est en tongs !!! Yeah baby, ça calme plus d'un mec en Hoka ça, j'te le dis !!!


Je sais pas si elle va aller au bout, mais respect quand-même ...

Bon, mais sinon on se concentre un peu là ?

Moi, Tof et Tom :)

Musique "Pirates des Caraïbes" à fond dans les haut-parleurs du départ puis  : Tre ! Due ! Uno ! (je vous rappel que nous sommes en Italie), Forza !!!



C'est parti mon kiki, ça part 2 kilomètres dans les rues de Courmayeur, puis on enquille direct 10 bornes avec 1'000 mètres de dénivelé pour le petit déjeuner.

On parle stratégie ou pas ?


Celle de Tof et Tom est simple : on part fort, on sert les dents et on on accélère dés qu'on peu. Bon autant vous le dire, je ne suis pas équipé pour ce genre de conneries.
S'ils ne partent pas trop vite, je me fais le premier col avec eux, après basta, je me cale dans mon rythme ... bon bah autant vous le dire tout de suite, j'ai tenu 2 kilomètres (sur le plat de Courmayeur ... uh uh uh).
Pas grave, c'était plus ou moins prévu, du moins pour moi : départ easy pour le premier tiers de la course (jusqu'à Bourg Saint Maurice/BSM), je mettrais les watts dans le deuxième tiers qui devrait se dérouler de nuit, quant au finish, ce sera avec ce qui reste, mais ça se fera surtout au mental ... on verra bien.

En attendant, je profite des premiers rayons de soleil pour déjà me mettre en t-shirt et aussi pour sortir mon appareil photo.

Lever de soleil sur Courmayeur

La journée s'annonce belle, tant mieux, mais j'ai déjà les jambes bien raides, je sens que je vais en profiter plus longtemps que les autres.



Je ne m'affole pas, je monte tranquille en surveillant mes temps de passage ... je suis dans le tempo, nickel ! Bon j'avoue que j'aurai préféré être un poil plus vite pour éviter les bouchons après le premier ravitaillement, puis surtout histoire de se dire "ouais cool, ça part bien".



Mais non, je suis un peu tendu du slip. J'essaie de me détendre : je m'amuse à détailler les coureurs à côté de moi (tiens encore la fille qui court en tongs, tiens un Japonais habillé en chemisette ...) et surtout je profite des paysages. Le versant Italien du Mont-Blanc est tellement magnifique !



Et alors que je commençais à me sentir bien, six mots me firent me retourner. Ce que je vis me glaça d’effroi :

Premièrement, je me rends compte qu'il y a beaucoup plus de monde devant moi que derrière ... mais alors beaucoup beaucoup plus. Genre j'ai l'impression d'être dans les 300, voir 200 derniers ! Fuck !
Et j'avais bien raison car au premier pointage je passe 1'500ème sur environ 1'800 coureurs ... gasp !

devant

derrière


Deuxièmement, le gars qui m'interpelle avec "Tiens Stef, que fais-tu là ?" n'est autre que Christophe.
Là, je me dis que si Christophe est sur mes talons, c'est que ça sent déjà le poney pour moi bordel ...

On papote un peu. Il me dit qu'il est sur un plan entre 30 et 33 heures. Mon play est entre 27 et 30, donc on en déduit qu'il est dans sa fourchette haute, et moi presque à la ramasse ...

Bon alors Christophe, ce n'est pas que je n'apprécie pas ta compagnie, bien au contraire, mais là dans les faits, plus tu es loin de moi (et derrière), mieux ce sera pour mon mental.
Je profite donc du passage du premier col pour basculer dans la descente, direction le Lac Combal à fond les bananes (nan mais) !
Je double une bonne centaine de personnes, largue Chritophe et déboule au premier ravitaillement en 3h10. 15 kilomètres de bouclés ainsi que 1'000 mètres de dénivelé ... faut juste refaire ça 8 fois et on est bon les gars !

Au ravitaillement du Lac Combal, je prends le temps de faire le plein des gourdes : j'estime le prochain stop à dans 4 heures et il commence déjà à faire bien chaud, faudrait pas se cramer tout de suite.
Je prends le temps de manger aussi un peu. Alors que je me dirige vers la sortie de ce ravitaillement, qui me tapote sur l'épaule ? Bingo : Christophe !

Bon, comment vous faire comprendre à ce moment là ... j'ai juste envie de lui répondre :


Mais je ne peux pas, parce que c'est moi qui me traîne comme une larve. Christophe est tout fringant, sourire aux lèvres, profitant un max du parcours et moi je grrrrr, grrrrr, grrrrr et re-grrrrr parce que je me rends compte que je n'y suis pas.

Bref, nous partons donc ensemble du Lac Combal, direction le col  Chavannes quelques kilomètres plus loin.



Là, je prends une décision irrévocable, et oui Denis :



Ça va, pas besoin d'une légende ?

Il est temps de transpirer un peu. Je mets donc les watts et attaque le col d'un bon pas. Je me retourne, Christophe a décroché ... je lui fais signe pour lui faire comprendre qu'on se retrouvera peut-être plus tard. Je n'en pense pas un traître mot, mais l'intention est sincère : si je le retrouve, ça ne sera pas bon signe pour moi, donc au mieux, je garde dans un coin de ma tête le plaisir de boire un coup avec lui une fois la ligne d'arrivée passée.

J'attaque donc ce col Chavannes sur un bon rythme, mais de nouveau je peste dans ma tête parce que ce col se monte sur un single, et comme je suis en queue de peloton, eh bah ça ne monte pas bien vite, du moins pas assez vite pour moi. Je perds du temps et pas moyen de doubler ...
Bien fait pour ma gueule, en plus je le savais donc je n'ai même pas de raison valable pour râler. Je prends mon mal en patience, fais quelques photos et me dis que ce qui m'attend derrière est bien costaud, donc mollo c'est pas si mal (on se console comme on peu hein ...)






Je passe le col, 4h20 de course. Pile poil sur mon planning et en 1'400ème place (100 de gagnées). 12 kilomètres de descente m'attendent ainsi qu'un petit coup de cul pour grimper au col du Petit St-Bernard, let's go !



J'avais détesté cette looooooongue descente l'année dernière, et bah vous savez quoi ? Je l'ai tout autant détestée cette année !

Piste de 4x4 avec peu de dénivelé, c'est chiant à mourir et usant au possible.




Mais bon, le décor est toujours magnifique et comme d'habitude, j'essaie de me distraire en regardant courir ceux qui sont à coté de moi.
Je recroise le Japonais en chemisette qui fait un selfie avec la fille qui court en tongs.



Alors que je double les deux originaux, pour une fois je me dis qu'il y a plus intelligent à faire. Je sais que je vais me fatiguer à courir dans cette portion, autant essayer de regarder les autres et d'apprendre sur ceux qui ont l'air à l'aise, comme cette fille en five fingers.

Je me cale donc derrière elle, et j'analyse la technique...



En fait elle a une foulée super légère, j'ai l'impression qu'elle ne lève qu'à peine ses jambes et que ses pieds effleurent les cailloux. Non en fait, elle ne les effleures pas, elle les poli ! C'est beau à voir, tout à l'économie.

Du coup, j'essaie moi aussi : foulée rasante, sur la pointe des pieds, je suis léger comme un papillooooooooôôô putain, la gaufre que j'ai failli me prendre !!! Mouhahaha, c'est bien beau de vouloir polir les cailloux, mais il faut quand même lever les pieds un minimum !
J'y retourne .... léger comme un (gros) papillon ... hey, mais ça fonctionne pas mal cette technique !

Swisch, swisch, swisch ... j'ai l'impression de faire du ski de fond, et après quelques centaines de mètres, je sens que je maîtrise pas trop mal le mouvement et que je me fatigue moins que d'habitude ... du moins c'est l'impression que j'ai, parce qu'en fait, une fois arrivé en bas, et au moment de remettre les gaz pour remonter au col du Petit St-Bernard, et bien je sens que j'ai laissé quelques calories en route.

Il commence à faire bien chaud et je profite du moindre ruisseau pour plonger la tête dedans, histoire de faire descendre la température ... en passant devant le lac du col du Petit St-Bernard, j'ai presque hésité à faire un plongeon, l'eau était tellement cristalline !



La photo ne met pas du tout en valeur la splendeur de l’endroit ... vraiment dommage.
Dommage aussi je rame autant, punaise, pas de jambes, pas de jus, chaud, trop chaud, j'accuse vraiment le coup sur cette montée.



Je me dis que finalement, j'ai dépensé encore bien trop d'énergie dans cette foutue descente, et d'avoir changé de foulée sans y être vraiment préparé a peut-être été contre productif : on innove pas sur une course ! grrrrr



Dans la dernière bosse, je suis planté grave de chez grave.
Je me demande si je mange assez, mais ce n'est vraiment pas évident avec la chaleur.


J'arrive au Petit St-Bernard bien entamé ... 7h40 de course, je viens de reperdre la centaine de places gagnées et je viens surtout de ranger mon moral dans un endroit qui pue bien, cette fois-ci, j'ai choisi mes chaussettes.
J'ai du mal à comprendre pourquoi ça ne veut pas. Pendant mon ravitaillement j'essaie de faire le point et je me raccroche à tout ce qui pourrait être positif : je viens de boucler la partie de la course qui me convient le moins, je sais que je vais avoir plus de plaisir par la suite car ce sera moins roulant et plus technique, et même si le mental est affecté, je sens que j'ai encore largement les ressources nécessaire pour en remettre plusieurs couches.

Alors, go, malgré 40 minutes de retard sur mon planning, je laisse le coté Italien derrière moi et attaque la longue descente, direction Bourg St-Maurice.

Les premiers kilomètres ne sont pas très pentus, j'en profite pour manger un peu plus que d'habitude (il est 14 heures) pour compenser le repas de midi.

Quelqu'un me tapote de nouveau sur l'épaule :
-" Punaise, tu as du prendre cher pour que je te croise ici !"

Et merdeeeeeee, Christophe me reprend ... je suis vert ! Il est toujours sur son rythme et il a l'air de super bien gérer son truc, alors que moi, je m'enfonce encore et encore.
Il essaie de me rebooster et me propose de courir 500 mètres, on relâche un peu et on y retourne.
J'accroche, les premiers 500 mètres, on marche un peu, on y retourne ... je décroche sur 20 mètres, on marche, on y retourne, lâche encore une cinquantaine de mètres, Christophe y retourne ... pas moi, je craque !
Je n'y suis pas du tout.
Il se retourne, m'encourage, mais je lui dit de filer, ça ira mieux plus tard ... ou pas, mais pas la peine de rester avec moi, je déteste faire le boulet.
Je vois donc Christophe s'éloigner inexorablement au loin.


Malgré tout, je ne me décourage pas (encore). Je laisse filer, reprends mon casse-croûte. Les mètres passent, les coureurs me dépassent par wagons ... fuck !

Mais petit à petit, la pente s'accentue et voilà, déjà je me sens mieux.

Je ne me fais plus doubler, je suis dans le tempo !
Il fait de plus en plus chaud et il y a énormément de poussière, alors au lieu de traîner en queue de peloton, il vaut mieux passer devant. Ça tombe bien, ça devient raide et technique et je peux enfin laisser parler mes qualités de descendeur.

Je double un coureur, puis deux, puis tout le groupe. Je me détache, revient en un rien de temps sur Christophe (check, on se retrouve en bas), puis j'accélère encore et encore ...

Rhaaaaa, c'est bon ça, tout se met en place : les jambes, le moral, la grinta ... yeah baby, je lance enfin cette TDS !

Je fais attention à mes appuis, à ne pas laisser trop d'énergie, mais quand même, j'ai les watts et je déboule dans Bourg St-Maurice en mode full power ! De très très bonne augure pour la suite des événements.

L'entassement des hommes, comme celui des pommes, engendre la pourriture


Bourg St-Maurice donc : 50 bornes au compteur, 10 heures de courses, j'ai réussi à regrapiller 100 coureurs dans la descente (1'400ème de nouveau) et j'ai même repris quelques minutes sur mon plan.
Moral au top, physique au top, je suis prêt pour la grosse difficulté du jour.

Et c'est toujours au moment où tout va bien que quelqu'un vient poser son poil de couille dans mon potage.



Premièrement au ravitaillement, je me prends la tête avec un connard (je balancerai bien ton nom et ton numéro de dossard, mais tu ne mérites pas cette gloire pauvre gland) qui a tout simplement dégagé mes affaires du banc où je m'étais installé, pendant que je remplissais mes gourdes.
Fatigué, ce cher monsieur s'allonge tout du long sur le dit banc, tout égoïste qu'il est, et estime qu'il est des plus normale de poser sa tête puante sur mon sac à dos.
La prétention et la connerie n'a aucune limite, même entre coureurs ... c'est tout juste si je ne me fais pas engueuler en reprenant mes affaires !

Bien énervé par l'échange, je file me chercher à manger et là aussi, les bras m'en tombent.

Là, des dizaines de coureurs se goinfrent sans la moindre retenue sur la table de ravitaillement. Oubliez tout de suite le savoir vivre et le respect, tout cela disparaît au bout de quelques heures d'effort. Pitoyable !
Il faut se battre pour arriver à attraper une pelure d'orange ou une croûte de fromage, si vous voulez accéder à quelque chose, c'est au prix de bousculades sans nom et de je m'incruste par où je peux.
J'arrive malgré tout à me faufiler je ne sais pas comment à cette foutue table de ravitaillement pour m'apercevoir que les bénévoles sont débordés par cette horde de blaireaux affamés.
La soupe ? Dans 10 minutes s'il vous plaît monsieur.
Pain ? Nous sommes partis en chercher, juste un instant s'il vous plaît ... je reste admiratif devant autant de stoïcisme et de gentillesse : vu l'attitude de certains coureurs, moi j'aurai déjà envoyé chier tout ce joli monde.

Alors là, les gars vous sortent toujours l'argument qui fait mouche : j'ai payé (mon dossard, et cher en plus) DONC  J'AI  LE  DROIT !!!



Oui, oui, oui cher trou du cul, tu as le droit ... mais tu as aussi des devoirs ! Celui de te comporter correctement et pas comme un crevard prêt à tout pour en mettre un maximum dans ses poches en fait partie. Fin de la parenthèse.

Je ressorts du ravito passablement énervé par tant de courtoisie, vous imaginez bien, et les quelques bouts d'oranges grappillées ça et là, ne feront pas l'affaire ... pas grave, j'ai ce qu'il faut dans mon sac.

La bonne nouvelle quand même : pas de Christophe en vue, et encore moins de Tof et Tom. Je sais que Christophe va bien, et le fait de ne pas voir Tof et Tom (ni leur caravane de supporters) veut dire aussi qu'ils n'ont pas de soucis et que ça galope bien devant. C'est cool :)

Je traverse la rue piétonne de Bourg St-Maurice, et je regarde les magasins pour voir si je ne peux pas m'acheter un sandwich en passant.
Nada, si ce n'est ce marchand de glace qui me fait de l'oeil .... mmmhh, une petite douceur ne serait pas de refus. De plus un coureur Anglais me propose carrément de me l'offrir, ne souhaitant pas que le glacier lui rende de la monnaie sur son billet.
Sympa ... mais je refuse tout de même l'occasion, j'ai un peu peur des conséquences sur mon estomac fragile.

A la sortie de la ville, un Ancien du coin me fait un topo sur ce qui m'attend. J'ai envie de lui dire que je connais bien le parcours pour l'avoir déjà pratiqué, mais il a l'air tellement content de me raconter tout ça que je le laisse faire. Je le remercie pour ses précieux conseils et attaque LA difficulté de la course : 2'000 mètres de dénivelé à s'envoyer sous un cagnard de malade. D'ailleurs, qui a touché le thermostat de la météo ? Le mode "pyrolyse" n’était vraiment pas nécessaire ...


Attention les baskets



Bon, mis à part les quelques coureurs qui m'ont gavés au ravitaillement, je suis toujours en mode full power, vraiment serein et confiant en arpentant les premiers mètres de la montée ... mais je comprends rapidement que :




Je vois déjà de nombreux gars allongés sur le bord du single, l’œil vitreux, le poil tout rêche, la bave au coin des lèvres ... c'est déjà dur pour beaucoup de monde.
Après je croise un coureur qui rebrousse chemin, puis deux, puis trois, puis ainsi de suite ... ceux-là ont l'air presque content d’abandonner, d'en avoir fini avec ce calvaire.
Et pourtant, ça ne vient que de commencer, ça doit faire à peine 15 minutes que je monte.

Tout le monde est en surchauffe, c'est assez impressionnant à voir ... et ça fait limite peur aussi. J'ai envie de dire à plusieurs : " Nan mais c'est bon, arrête tout, c'est pas la peine de continuer dans cet état là, si tu savais ce qu'il y a derrière ..."
Mais bon, chacun s'occupe de soi et c'est déjà pas mal ... Pour ma part, je suis parti assez souple, je ne compte pas me mettre dans le rouge tout de suite.

Je suis assez bien, bon rythme, je veux gérer jusqu'au Fort de la Platte, on verra ce qu'il me reste dans les mollets plus tard.

Burp .... petit rototo ... ah ? ok

Puis 100 mètres plus loin, re-burp .... petit rototo bis ...ah ?! encore ?
Mmmh, mais celui-ci transportait une information qui pourrait changer beaucoup de choses, vous voyez où je veux en venir ou pas ?

Re-buuuuurp :



Houuuuu, punaise !!! Je m’arrête tout de suite, je connais que trop bien ces symptômes. Si je vomit maintenant, c'est la fin des haricots (et peut-être même des courgettes et des carottes si ça se trouve).
Petite pause, 3 minutes.
Je respire ... un petit coup de flotte, je sens que ça va mieux, je repars tranquillou ... je crois que j'ai gérer le truc, ouf, c'était limite !

Je parle à mon ventre. Je ne sais pas si on parle le même langue toi et moi, mais ça fait un moment que tu n'en fais qu'à ta tête, c'est chiant ! Alors monsieur le ventre, tout, absolument tout ce que je t'envoie à une raison d'être ! Tu es prié de garder ça pour toi et de faire ton boulot ... c'est pas comme s'il me restait encore 70 bornes à courir, hein.

Je repars ... un pas, deux, et là, catastrophe nucléaire :



Tout y passe : la barre de céréales que je viens de manger, le morceau de fromage, les biscuits salés et les oranges avalés en 30 secondes au ravito.
D'ailleurs j'avoue, c'était celle du marchand, désolé Michal de t'avoir fait porter le chapeau toutes ces années ...

Punaise, je suis mal, parce qu'après la première livraison, il y a eu la deuxième, puis la troisième ... Autant vous dire qu'un lavage d'estomac m'aurait fait moins d'effet : je me sens sec de chez sec bordel.
Rinçage de bouche, bonbon à la menthe ... en moins de deux minutes, je viens de prendre un coup de quenelle terrible derrière la tête : plus de jambes, plus d'envie, plus de moral, plus rien dans le bide et surtout, plus rien ne veux rentrer dans ma bouche.
J'ai l'impression d'être à mon deuxième mois de grossesse, je suis nauséeux comme jamais.

Malgré tout, je ne me pose encore pas trop de question : faut avancer ! Alors je me remets en route et autant vous le dire tout de suite, c'est pas glorieux du tout.
Comment vous faire comprendre la galère et la détresse dans laquelle je me retrouve à ce moment là de la course ?
Pour vous donner une idée, et pour éviter un paragraphe à faire pleurer Céline Dion, l'année dernière où j'avais subi une grosse défaillance aussi à ce moment là de la course, j'avais monté le premier tronçon jusqu'au Fort de la Platte en à peu près 2 heures ... déjà pas super glop.

Une idée du chrono de cette année ?

Allez, zéro suspens : 3 heures 30 putain de bordel !!! Rien que de l'écrire, mes cuisses en tremblent encore et ma raison vacille. 3h30 ... punaise, ça fait vraiment pas sérieux quoi.
3h30, c'est le temps qu'il me faut pour courir un marathon (42 km), et là je viens d'en faire 5 (et 1'200 de D+) ... mais au secours ...
Mon gps a même enregistré une pointe à 1 km/h dans ce passage.
... Je n'ai pas de mots pour vous décrire le ridicule de la situation.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'arrive à peu près dans cet état là au Fort :

...sauf que j'ai encore mes 2 chaussures !

Au bout de ma vie


Mais alors vraiment au bout du bout de ma vie !

3h30 que je monte en étant complètement à jeun, dans un état second.
Je suis rincé, épuisé !

La seule chose qui me fait tenir, c'est que j'avais repéré une sorte de buvette clandestine l'année dernière. Cette année, si elle y est encore, je compte bien m'arrêter et prendre un coca bien frais.
Ouuuuuais, un coca !!!
J'en fais des hallucinations : je rêve, que dis-je, je fantasme grave sur ce coca.

... et que sur le coca bien sûr !


Bon, une fois arrivé à la buvette, je déchante vite parce que le gars qui me vend ma canette ressemble plus à un paysan qu'à une playmate. De plus, à 5 euros la boisson, je me dis qu'il y en a qui ont trouvé le bon filon.
Je suis tellement dans le gaz que je ne relève même pas. Je prends mon coca bien chaud (...) et pause lamentablement mon cul sur un bout de chaise.
Le coca me fait roter comme un gros porc, et je n'ai même plus peur de vomir, il n'y a plus rien à rendre, l'écho dans mon estomac est sans fin.

Pile ou face ?


Au moment de me diriger vers le poste de contrôle pour me faire badger, je croise Christophe en train de siroter un Orangina.
On dirait qu'il a prit une bonne fessée dans cette montée aussi, mais il a toujours l'air de gérer son histoire. On pointe ensemble et on décide de terminer cette montée à deux.

Je lui raconte un peu mes déboires et lui explique que ce qui me fait tenir, c'est de penser à la soupe et au plat de pâtes qui m'attendent au prochain ravito. Si j'arrive à manger un peu salé, ça devrait pouvoir faire le tour ... allez, encore deux heures à tenir, c'est jouable.
Même si j'ai déjà largement entamé mon capital volonté, punaise deux heures c'est rien (enfin presque rien), faut que je m'accroche !

Et là, c'est pas Omar, mais Christophe qui m'a tuer.

Deux heures ??? Mouhahaha (rire sadique) mais vu à la vitesse où on court, on y sera plus en quatre heures qu'en deux ... d'ailleurs faut pas trop traîner si on veut avoir un peu de marge sur la barrière horaire.



Sache Christophe, que tes mots m'ont fait beaucoup de peine à ce moment là : autant de méchanceté de la part d'un copain, je ne pensais pas que c'était possible ...

Le peu de jambes et de volonté qui me restaient viennent de s'envoler avec mes derniers espoirs de terminer cette course.
Quatre heures ! C'est bien au-delà de ce que je peux faire, vraiment ... c'est juste pas possible de m'envoyer la fin du col et de crapahuter encore tout ce temps.
Un rocher me tend les bras, je m'assieds dessus, dépité.

-"Bah, qu'est-ce-que tu fais ? Allez go, on a pas de temps à perdre !"

J'explique à mon camarade que j'ai besoin d'un peu de temps pour faire le point, mais que ça va être très très compliqué pour moi de survivre quatre heures. Il serait peut-être plus sage d'arrêter les frais maintenant.
Christophe voit bien que je suis à bout de tout. Je lui dit de continuer sa route.
Il me laissera tel une sirène sur ce caillou avec un dernier avertissement :

-"Si tu veux repartir, dépêche toi, la course ferme dans 20 minutes. A plus et bonne chance !"

A ce moment là, j'ai envie de la jouer à pile ou face :

Pile j'arrête, Face je ne continue pas ... cruel dilemme.





 ... à suivre (à lire ici).


5 commentaires:

  1. haha, je viens de trouver une autre expression que j'adore... "le coca me fait roter comme un gros porc"... je n'arrive plus à m'arrêter de rire :-)))))))
    vive la suite!!!

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    1. Ah ah ah, mais tu me mets la pression et je dois trouver de nouvelles expressions juste pour toi ;-) J'avais parié sur une autre, mais tant mieux si c'est celle-là qui t'a fait rire. La suite arrive bientôt :)

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  2. Excellent récit! La grande classe. En te lisant, je me suis fait la réflexion qu'on est un peu des grands malades à courir des ultra par 35°... Vivement la suite!

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    1. Merci Caroline. Sûr qu'on est des grands malades, mais le plaisir de courir en montagne et la joie de franchir la ligne d'arrivée efface tout :)
      Ps: félicitations pour ta course et merde pour la prochaine au Portugal.

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  3. bravo pour lce recit a rebondissements. superbes illustrations. j'ai eu aussi cette terrible envie de vomir dans cette cote et impossibilite ensuite de manger jusqu au petit matin... J'ai raconte mon experience dans une petite video mise sur le fil kirkurou de la tds. j attends la suite avec impatience mais ca sent le finisher, cette pause a mi-parcours non?

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