dimanche 16 août 2015

L'effet papillon.


- Trail du tour des Fiz 2015-


Vous connaissez tous cette expression qui illustre le fait que, la moindre action, aussi insignifiante soit elle, peut avoir des répercutions énorme au bout de la cascade de réactions qu'elle a pu engendrer.
Je vous ai raconté maintes et maintes fois que je n'étais pas du matin et que mes entames de course, avec un départ à l'heure où les clubbers entrent en transe, étaient des plus laborieuses.
Ce fut donc une de mes préoccupations principales en cette année 2015 : trouver une solution à ce problème, histoire que je puisse accrocher le bon wagon dés le départ et pouvoir faire une course "pleine".
Le protocole a été simplifié (et le sera encore plus dans le futur) pour les jours en amont de la course : fini les régimes, les programmes du coach à la mode et la sacro-sainte période d'affûtage. Tout cela ne fait qu'augmenter mon stress et cette pression m'est contre-productive. Un peu de sophrologie pour positiver, un programme diététique orienté "plaisir" et une préparation du matériel et des affaires de course faite plusieurs jours avant plutôt que la veille, font que j'aborde mon épreuve beaucoup serein.
Reste les douloureux problème du réveil à 3h00 du matin ainsi que celui du petit-dèj. Nouveau protocole ... il parait qu'il ne faut pas tester le jour d'une course ... ah bon ? tant pis, c'est trop tard, il est 5 heures du mat, le départ est donné dans 5, 4, 3, 2, 1 prêt, feu, partez !

Oui mais bon alors, qu'est-ce-que c'est que ce Tour des Fiz ?


Si on m'avait posé la question lorsque j'avais dix ans, je vous aurai répondu qu'il fallait faire le tour d'un paquet de bonbons, vous savez, ceux méga acidulés et qui piquent la langue ... avec comme conséquences un mal de dents, et un mal de ventre aussi sûrement.

ça pique !

Vers la vingtaine, le Tour des Fiz aurait sûrement ressemblé à ça :

ça pique un peu plus !!

Un bon Gin Fizz ... et pas sûr qu'un seul tour soit suffisant ! Bref, ce coup-ci, c'est mal de tête et aussi mal de ventre assuré !
Alors quand tu as la quarantaine et qu'à la question: -"Tu fais les Fiz ?" tu penses à 60 kilomètres en montagne avec 5'000 mètres de dénivelé ...

ça pique trop !!!

... c'est que tu as pris un sacré coup de vieux, et autant l'annoncer direct, tu vas avoir mal aux jambes, c'est sûr, mais le mal de ventre c'est pour tout de suite !

Voici pour les présentations et mon road-book, calculé sur un 12 heures d'effort linéaire ... un poil ambitieux mais quand même jouable si tout se passe bien.

Le départ est donc donné. Il est 5 heures du matin, les frontales crachent leurs lumens et on s'engage sur des sentiers humide en foret. Les premiers kilomètres se font sur une légère pente descendante ... méga agréable :)
Même si mon esprit respire encore la nostalgie de mon oreiller, je dois dire que les sensations sont plutôt bonnes, voir même très bonnes ?
Mais que se passe-t-il ??? Je prendrai du plaisir à courir le matin ? Incroyable, je me surprends moi même et je me dis que j'ai peut-être enfin trouver la bonne  formule. C'est encore trop tôt pour le dire, mais je ne boude pas mon plaisir :)

Punaise quel pied


Les deux premières heures de course se feront avec ce plaisir incroyable de se sentir invincible, de maîtriser le moindre single-track, de pouvoir relancer sur chaque bosse, de grimper sans s'essouffler et de pouvoir profiter des premières lueurs du jour.


Je double pas mal de monde et du coup, je me fais la remarque que je me suis embarqué pour environ 12 heures de course et qu'il serait judicieux d'en garder sous la pédale.
J'arrive au pied de la première grosse difficulté : 1'100 mètres de dénivelé à grimper pour passer un col à 2'500 m d'altitude.
Je jette une dernière fois un coup d'oeil sur le soleil qui pointe derrière le Mont-Blanc, une petite photo, et gaz !


Tout les voyants sont au vert, je fais monter un peu les puls, trouve mon rythme et enchaîne les lacets... hihaaa, je suis déjà en train de fantasmer sur une grosse perf de ma part aujourd'hui. A vue de nez, je dois pointer aux alentours de la 50ème place et j'ai grave envie de faire sauter tous les gars devant moi dans la prochaine descente, ça va saigner !

Sauf que 1'100 mètres à monter, c'est long, et pour mon rythme de course, ça veut dire une grosse heure à faire chauffer les cuisses ... et en une heure, il peut s'en passer des choses ...

La preuve


Et des retournements de situation, il va y en avoir ... et pas qu'un ! J'entame cette montée donc encore plutôt confiant sur mes capacités mais un détail m'interpelle : je n'ai pas souvenir d'avoir bu ou manger quoique ce soit depuis le départ ... mmhh est-ce bien possible ?
Je sors de ma poche mon manuel "hydratation et nutrition : comment ne pas jouer au con sur un ultra-trail". Bon, je n'ai pas trop le temps de lire les 48 chapitres, je passe directement à la conclusion :
-" ... sous peine de grosse défaillance dés les premières heures de course ... "

Mouhahaha, elle est bonne celle là. Bon trêve de plaisanterie, j'ai pris mon petit-dèj de champion il y a trois heures, donc tranquille ... j'attaque mon rituel : boisson toute les 10 minutes, barre de céréales toute les heures, soupe salée et banane aux ravitaillements ... easy.

Entame donc de cette première difficulté en mode intouchable.
Au bout de 20 minutes, on se fait grave enrhumer par les premiers coureurs de la course des 30 kilomètres partis après nous. Punaise, c'est méga impressionnant !!! Les gars ne font pas le même sport: alors qu'on peine à gravir la pente, les mecs sautent de rochers en rochers tels des chamois sous amphétamines made in Sky ... hallucinant, on voit bien la différence entre les pros et les amateurs ... ça calme direct.
Fin de l'interlude, je me remets au boulot. Je ne sais pas si c'est le fait de mettre pris un courant d'air ou quoi, mais d'un coup j'ai un peu de peine. Je lâche inexorablement le groupe avec lequel j'évoluais depuis quelques temps.
Il y avait ces 5 ou 6 Hollandais, un petit vieux avec les cheveux tout blanc, un gars full Salomon, un autre en t-shirt vert fluo et un dernier avec des Cascadia aux pieds. Ça me fait chier de décrocher parce que c'était vraiment un bon groupe et du coup je me retrouve un peu seul ... 10 mètres, puis 20, puis 50, puis 100 ... et puis je me fais reprendre par des coureurs derrière.

Je ne comprends pas pourquoi je n'arrive pas à suivre. Le rythme n'est pas monstrueux et je suis encore frais ... mais je n'y arrive pas ! Ouhhhh, ça commence déjà à me chauffer cette histoire, et comme d'habitude, tellement concentré sur ma course, je n'arrive pas à interpréter correctement les premiers signes de détresse que m'envoie mon corps.

Ça débute par des glou-glou dans le ventre, suivi d'une légère impression de nausée qui s'installe insidieusement, puis les jambes deviennent de plus en plus raide ... mais, je préfère râler et pester contre la pente qui est trop pentue, le parcours qui est trop long, les autres coureurs qui sont trop rapides, que de faire le point avec moi-même.

J'arrive environ à la moitié de la montée pour un bref stop au refuge de Platé. Autant le dire tout de suite, j'en ai déjà raz la casquette !!!
L'euphorie du départ s'est envolée depuis longtemps et les 30 dernières minutes de galère ont sacrément entamé mon moral : plus de jambes, plus d'envie, plus aucune volonté, c'est le néant !
A ce moment là de la course, je ne pense qu'à une seule chose : abandonner et rentrer chez moi. Oui mais voilà, sur un trail, tu n'abandonnes pas comme ça mon cher môsieur ... et oui, sauf grave accident, comme tu es perdu au milieu de la pampa, il te faut rejoindre la vallée la plus proche pour rendre ton dossard, ce qui implique pour ma part, soit faire à rebrousse-poil les 15 km que je viens de faire, soit faire les 15 km suivant ...

C'est donc avec désespoir que je me lance dans l'ascension finale, direction le col de la Portette.



30 minutes, c'est long


Oui, c'est long, d'autant plus que les glou-glou sont devenus de franches nausées, qu'un mal de tête certain c'est emparé de mon esprit et que mes jambes si fringantes au début de course, sont devenues bien raides.
Je tente alors, en désespoir de cause, de faire un re-boot complet du système ... aucune réponse. Il ne me reste que l'option de lancer une hasardeuse mise à jour, validée en quelques secondes :
-"Version 2.0 des jambes en coton installée avec succès" ... punaise, je vais les sentir ces 500 derniers mètres de dénivelé à monter.

Je comprends uniquement à cet instant que je me fais ma classique hypoglycémie de mi-course. Je me dis qu'elle devait être pressée parce qu'elle est là bien tôt pour une fois. Elle devait avoir beaucoup de boulot pour venir me faire chier si vite dans mon effort.

Je râle de plus belle, peste et jure contre la moindre contrariété et finalement, je dois m'arrêter 2 minutes au bord du chemin pour poser mon petit vomi.
Gros coup de blues à ce moment là ... j'ai envie de pleurer ...
Et là je me dis que jamais, au grand jamais on ne me reverra sur ces courses : c'est trop long, trop dur, c'est pas de mon niveau, et patati et patata ...

Mais bon, en attendant, faut bien que je le passe ce putain de col. Je me réconforte en regardant en arrière le chemin parcouru. Sur le moment je me dis que :
1- C'est beau !
2- J'ai déjà réussi à faire tout ça, pas de raison  que je ne puisse pas faire le reste, même en rampant.
3- Punaise le monde derrière moi, je vais me faire manger !


Alors je traîne ma carcasse comme un malheureux. C'est long, c'est pénible et mon effort sera entrecoupé de nausées de plus en plus fortes ... allez, encore quelques mètres et je pourrai enfin franchir ce col de la Portette.




Ah ce moment là, je suis gavé, dégoûté du trail pour les 3 prochaines générations.
Je me pose 5 minutes au sommet pour profiter du paysage et reprendre un peu d'espoir puisque maintenant, 15 km de descente me tendent les bras.

Sauf que


Sauf que quand on n'a pas les idées bien claires, vitesse et descente en trail ne font pas très bon ménage.
J'ai le ventre complètement en vrac, les nausées encore plus intenses et le mal de crane n'est pas décidé à aller voir ailleurs si j'y suis.
Qu'importe, la descente c'est mon truc à moi, et plus vite je serai en bas, plus vite je pourrai rendre ce fichu dossard, plus vite je serai dans le bus avec les autres DNF (Did Not Finish), plus vite je serai dans ma voiture, plus vite je serai chez moi dans mon bain/canapé/lit !
Je suis motivé grave ^.^

Je me mets en ordre de marche, attaque le single, première épingle et .... ooooohhh putainnnnnn, je manque de me ramasser une monumentale gaufre sur le premier rocher qui me tendait les bras. Je ne sais pas encore comment j'ai fait pour en réchapper, mais ma gueule de beau gosse en aurait pris sûrement un très vilain coup.
J'ai le coeur qui bat à 3'000 à l'heure (minimum) ... je me dit à ce moment que j'ai vraiment l'air d'un gland.

C'est une métaphore Scrat, ne me mange pas !

Pfiou, non content d'avoir éviter une chirurgie plastique reconstructive faciale complète, j'y retourne comme si de rien n'était.
Je ne fais pas 20 mètres avant de me retrouver étalé de tout mon long dans le pierrier.

La loose intégrale !

Me voici avec quelques morceaux d'ongle en moins et quelques éraflures sur les paumes des mains en plus, mais je m'en sors encore une fois vraiment bien .... physiquement, parce que moralement, je crois qu'à ce moment je touche là le fond du fond de mon estime de sportif.

Je me pose une nouvelle fois à l'écart du chemin.
Le cul sur un rocher, cette fois-ci l'envie a cédée sa place ... je pleure.
Ça me saoule, j'ai l'impression de vivre à coté de mon corps et que tout mes entraînements n'ont servi à rien.
Quelle déception ...
Je suis tellement déçu, triste, dépité.

Mais encore une fois, je n'ai pas le choix, faut avancer mon gars.

En mode galérien


Je me mets donc le plus possible sur le bord du chemin pour ne pas gêner les autres coureurs (qui eux courent), et j'entame mon chemin de croix ... 15km de descente à marcher, un supplice pour moi.
Je me fais doubler de tous les cotés et j'ai vraiment l'impression d'être un boulet qui fait chier le monde.
Cependant pas mal de coureurs/coureuses me demandent si je vais bien, si j'ai besoin de quelque chose. Plusieurs auront même quelques paroles encourageantes "accroche-toi", "allez, ne lâche rien", "courage mon gars" ... sympa et motivant au début.

Puis quand ça fait 50 gars qui te disent: -"Ça va ? Allez accroche toi !", tu as gentillement envie de lui dire:
 -"Vas-y, c'est bon, lâche moi !"
Et quand c'est le centième gars qui te ressors ces inepties, qu'il court à deux à l'heure comme un crapaud et qu'il te lance un proverbe moisi sur le courage et la volonté, tu as juste envie de lui balancer un gros cailloux dans sa face !
Mais bon, tu peux pas, parce que déjà, ça se fait pas (et puis il était tout gentil avec ses bonnes intentions), et puis aussi parce que même en courant comme un phacochère asthmatique amputé de trois pattes, le gars il court plus vite que toi, et il est déjà bien loin le temps que tu ramasses ta pauvre pierre ...

Du coup, j'aurai bien voulu m'arrêter pour me faire une pancarte que j'aurai accrocher dans mon dos avec ces quelques mots :

ARRÊTER DE ME FAIRE CHIER !



Bon, blague à part, l'avantage quand tu passes en mode rando sur une course, c'est que tu as le temps :

1/  de te ravitailler correctement sans en mettre plein ton t-shirt et tes godasses à 200 euros.
2/ de profiter du paysage et de faire quelques photos sans pester pour avoir perdu 3 millième de secondes à cause du déclencheur qui est trop lent. (bah oui, je ne vous avais pas dit que je jouais le podium ?)

Se refaire la cerise


Donc, comme je n'ai que ça à faire, je mange ... barres de céréales et compotes qui étaient dans mon sac à dos ainsi que bananes, pain d'épices et même quelques morceaux de fromage au ravitaillement. Je bois aussi pas mal pour faire descendre tout ça : Isostar, Coca, eau plate voir aussi gazeuse, tout y passe, je pourrai vous rédiger une thèse sur le ravitaillement en montagne.

Pour ce qui est des paysages, faut bien avouer que l'orga de la course nous a servi un menu 5 étoiles, parce que punaise, les Fiz, c'est juste magnifique ! Et comme une image vaut mille mots, je vous laisse apprécier :






Bon, bah mine de rien, de bonnes sensations reviennent un peu. Déjà parce que je me fais beaucoup moins doubler ... bon en même temps quand tu traînes en queue de peloton, il n'y a plus guère que le serre-fil qui peut encore te passer.
Mais je me fais moins doubler aussi parce que les coureurs du 30 km ont bifurqué à droite sur leur parcours , alors que moi je file tout droit me taper le Grenairon.



J'arrive donc au ravitaillement de Salvagny avec des jambes un peu raides, mais je sens que cette descente m'a fait le plus grand bien.


Fini les nausées et le mal de tête. Le ventre est ok et je me sens presque full-power malgré déjà 5h30 de course.
Je devais arriver à 10h30 à Salvagny, je regarde ma montre et je vois qu'elle indique ... 10h30 ! Si c'est pas de la projection de fou ça !!!
Bon, le problème c'est que j'avais calculé mon road-book sur un effort linéaire, sans tenir compte de la fatigue, et pour être réellement dans les temps, j'aurai du avoir au minimum 45 minutes d'avance ... je sais donc que ça va être trop chaud pour tenir mes 12 heures, et qu'il va falloir envoyer du lourd pour passer sous les 13 heures.

Pas grave, après plus de deux heures de galère, on apprend à relativiser. La question que je me pose maintenant c'est :
J'abandonne comme prévu ou suis-je capable de continuer cette course tout en y prenant du plaisir ?

J'ai déjà ma réponse et une petite idée derrière la tête, mais je préfère prendre un peu de temps pour me ravitailler correctement avant d'affronter la deuxième difficulté du jour.

All in


Je sais que si j'attaque cette montée, il n'y a pas vraiment de retour possible : c'est 30 km encore à s'envoyer avec environ 2'500 mètres de dénivelé.
Mais à ce moment là, je me sens presque euphorique. J'en ai tellement chier avant que je veux juste me faire plaisir. Je quitte le ravitaillement, et là je décide de lancer ma course. Comme au poker, je me fais un "all in" et pose tout mon jeu sur la table.



Je ne veux rien calculer ou bien gérer. Je veux tout donner, tout envoyer dans cette montée ... je finirai avec les moyens du bord quand je serai cramé, mais au moins je n'aurai pas de regrets dans cette montée.

Alors je sors le grand jeu : pastille de menthe extra forte dans la bouche, musique extra forte dans les oreilles, poussée extra forte dans les cuisses et mental extra fort pour grimper le plus vite possible.

La machine se met en route ... je vois un concurrent au loin, faut que je le rattrape. Aussitôt dit, aussitôt fait, mmmhh comme c'est bon ! 
Oh, puis il y en a deux autres quelques lacets au dessus de moi. Je relance et reviens sur eux en un rien de temps ... il en sera ainsi sur toute la montée : à chaque coureur doublé, je me reprends une dose d'adrénaline pour aller chercher celui devant.
Je grimpe comme un fou. Le terrain est tellement engageant et motivant.


Au sommet du Grenairon, j'ai repris 32 concurrents (124 ème hihaa !). Mais les bonnes nouvelles ne s'arrêtent pas là, car même si je viens de griller quelques milliers de calories sans compter, j'en veux encore !
J'ai une motivation au top et malgré des jambes qui commencent à accuser la distance, je sais que j'en ai encore largement dans le coffre pour bien terminer ce trail.
J'ai pris 5 minutes d'avance sur mon road-book, je suis content de mon effort.
Et enfin, à l'instant où j'atteins le sommet, qui vois-je quitter le ravitaillement ? Le groupe de coureurs avec lesquels j'étais en début de course. Là je ne vous dit pas comme je suis re-boosté à mort !!!
Ils ont environ 15 minutes d'avance sur moi et je compte bien les reprendre dans la descente.

Mais bon, chaque chose en son temps puisque d'abord, il faut faire le plein des gourdes, prendre mon ravitaillement, se faire contrôler son matos obligatoire par un commissaire de course, papoter 2 minutes avec les bénévoles ... et puis gazz !

Cependant, avant de lâcher les chevaux et de partir à la poursuite du groupe devant, je prends l'option casse-croûte. Il est 12h30 et ce ne sont pas les barres de céréales et les compotes qui vont tenir mon ventre qui commence à m'envoyer quelques signaux de "j'ai faim !!!".
Je sors donc un cake salé fait maison et tout en marchant, je m'envoies mon "repas".
J'ai du mal à mâcher et à avaler, je fais donc descendre tout ça rapidos avec un peu de flotte et puis go, go, go, faut battre le fer tant qu'il est chaud.

Ouille


Je lance ma jambe dans la pente, et là ... le drame.
Une douleur foudroyante tétanise mon mollet gauche. Ouh punaise, c'est hyper douloureux !
Je m'arrête, regarde le muscle incriminé : pas de contracture  ni de crampe, pas d'hématome visible ... bon je ne suis pas expert mais je penche pour un claquage, une petite déchirure musculaire, voir une tendinite.
Rah fait chier, fais chier, fais chier !!!

Bon, si je ne bouge pas, je n'ai pas mal ... donc ça ne doit pas être trop grave. Faut que je me démerde pour rallier le prochain refuge où il doit y avoir un poste de secours, mais merde ça me saoule, ça commençait à devenir sympa cette course grrrrrr ...

Si je me penche en avant quand je cours, la douleur n'est pas trop présente, mais je peux a peine trottiner, ce qui me fait perdre d'autant plus de temps que la descente est méga roulante sur une piste caillouteuse de 4x4. Impossible de revenir sur le groupe devant et encore moins d'accrocher les concurrents qui reviennent de derrière.
J'essaie de limiter les dégâts, tant au niveau de mon classement que de ma blessure, mais je rame et c'est dur de rester en dedans sur la deuxième descente alors que c'est mon point fort.

J'arrive au terme de la descente, Ça fait 8 heures que je cours, il me reste 20 km à faire et je viens de prendre 20 minutes de retard sur mon road-book ... ça sent la croquette moisie.
Au ravitaillement, j'espère encore avoir un visuel sur mon groupe de départ ... mais nada, ils sont partis depuis un moment.
Je ne trouve pas le poste de secours, mais en même temps je ne cherche pas beaucoup, ni ne demande à personne les démarches pour abandonner ici.
J'ai mal, je suis dans le dur, mais je m'arrête à peine au point de contrôle. Je ne sais pas encore combien de temps je peux tenir avec mon mollet, mais la douleur n'est pas pire qu'au début.
Alors même si je ne peux pas courir, j'ai une pulsion au fond de moi qui me dit de continuer, de ne pas lâcher ... alors je file et j'entame la dernière grosse difficulté du parcours : direction le refuge Wills, le lac et le col d'Anterne.

Je grimpe, mais rien à voir avec la montée précédente. Je me penche un maximum en avant et je pousse le plus possible sur mes bâtons pour soulager tant que je peux mon mollet.
La douleur est toujours vive mais c'est relativement gérable. Cependant le moral en a pris un sacré coup et la motivation traîne au niveau de mes chaussettes.
Ça revient encore de derrière et je perds de nouveau énormément de places parce que je ne peux pas suivre le tempo.
Pour couronner le tout, une petite pluie s'invite au voyage ... bref, je repasse en mode galérien.

J'essaie de trouver des solutions, de relancer la machine, de trouver la motivation, mais ça veut pas ... je suis de nouveau planté et j'ai du mal à imaginer comment je pourrais trouver les ressources pour finir cette course.

Une lueur d'espoir


Comme quoi les courses version ultra (enfin, mini ultra pour celle-ci) sont pleines de surprises et de rebondissements, c'est qu'au moment où je broie de nouveau du noir, où mes jambes ne veulent plus (surtout mon mollet), où j'en ai marre et que je veux tout bâcher ... la solution s'ouvre à moi.

Dans la courte descente qui m'emmène au refuge Wills, je peux voir en face de moi la suite du parcours et la montée suivante à affronter.
Et bien là, que vois-je en face de moi ? Mais oui, mon petit groupe avec lequel je courrai depuis le départ !
Je les vois assez distinctement pour les reconnaître tous éparpillés dans la montée. Ils sont tous là ... ne manque que moi !

Et là, je ne pourrai pas vous expliquer ce qui se passe dans ma tête, mais un moment de pure folie me prend tout d'un coup : faut que je les rattrape !!!

J'estime à 15-20 minutes mon retard, il reste une bonne dizaine de kilomètres à faire avec presque que de la descente, si j'arrive à gérer mon mollet et à passer au dessus de la douleur c'est jouable, j'en suis sûr. D'autant plus que j'ai un atout non négligeable dans ma poche, je connais assez bien la fin du parcours : je sais ce qu'il me reste à faire comme effort, où je vais devoir ralentir, gérer, accélérer .. punaise, je suis en train de me faire une érection au moral !

Au refuge Wills, je prends quand même le temps de faire le plein des gourdes et de me ravitailler un peu. Je décide de la jouer tactique et de mettre plein gaz jusqu'à l'arrivée sans plus jamais m'arrêter.
J'attaque donc la dernière montée sur le lac et le col d'Anterne.

Hihaaa


Je monte comme un fou furieux ! J'ai une rage en moi incroyable. Mon objectif est clair : revenir sur mon groupe !
Mode warrior enclenché, pastille de menthe, musique de nouveau plein pot, je lâche tout ce que j'ai. Le mollet grimace toujours autant mais j'arrive assez bien à me pencher et à pousser bien fort sur les bâtons pour le soulager ... ça passe.
J'arrive au lac d'Anterne et malgré le temps maussade, le panorama est quand même grandiose avec les Fiz juste devant moi.



Je passe le lac, direction le col d'Anterne, tout au fond sur la photo ci-dessous.



Et là, j'ai en ligne de mire 2 coureurs de mon groupe : le gars full salomon et l'autre en cascadia. Punaise faut que je les reprenne !
Je donne tout ce que j'ai, comme si la ligne d'arrivée était en haut de ce col, je relance sur les bosses, accélère sur le moindre replat ... et je les enrhume !

Les pauvres n'ont sûrement pas compris pourquoi je mettais tant de rage et de force à les reprendre. Ce n'est pas pour le classement (143ème au dernier pointage) ... c'est juste pour mon ego, ma fierté à moi. Juste pour me dire que malgré 15 km de course désastreuses, j'ai été capable de reprendre le dessus et de revenir dans ma course.
Ça me fait un bien fou ! Je passe le col et entame les 10 derniers km de descente.


La vue est bien bouchée sur le Mont-Blanc, quelle différence avec ce matin ... mais bon, il est pas loin de 17h et ça fait presque 12 heures que je cours.

J'aperçois le petit vieux avec ses cheveux blancs qui coince un peu dans la descente. Je le passe sans aucun respect pour les anciens et file droit sur le refuge dessous moi.
Avant d'arriver au refuge, j'ai de nouveau en visuel le groupe de Hollandais. Je regarde mon chrono, fais un petit pointage pour comptabiliser moins de 8 minutes de retard.

Lâche les chevaux


8 kilomètres, 8 minutes ... l'équation est simple si je veux les passer avant le finish.
Cependant, un petit doute m'envahit : si les 8 derniers km sont comme ceux qui se dévoilent devant moi, ça va être compliqué ... très compliqué.
Mon mollet me fait toujours terriblement souffrir et je ne peux le gérer que dans les fortes pentes. S'il faut courir sur du faux plat, même descendant, genre piste de 4x4, ça va être 8 km de galère pour moi , car il m'est vraiment impossible de courir sur ce terrain ... la douleur est trop violente.

Je passe donc le refuge et marche sur cette portion (environ 500 mètres). C'est dur physiquement et pour le moral car je vois les Hollandais au loin qui cavalent sévère.
Mais bon, la chance est avec moi aujourd'hui...

Au détour du chemin, alors que je tente vainement de marcher rapidement, je me fais arrêter par deux bénévoles. Que passa ?

-"Bonjour, c'est pour vous informez que les 4 prochains km de descente sont très techniques, raides et dangereux. Prenez la plus grande prudence pour descendre."

Je crois que je n'ai jamais entendu de paroles plus douces et plus encourageantes.
Je ne trouve pas de mots pour vous expliquer le pied monstrueux que j'ai pris dans cette descente ... peut-être qu'un Gif vous aidera à comprendre.


C'est bien simple, je dévale à fond les ballons !
Je reprends 23 coureurs dans cette descente, dont bien sûr les Hollandais et même le coureur avec son t-shirt vert fluo.

Je suis intouchable !

Petit coup d'oeil sur mon road-book ... il me reste environ 3 kilomètres, et j'ai 1 heure et 5 minutes de retard sur mon planning. Non, ce n'ai pas possible, je savais très bien qu'avec les moments de "pas bien", il m'était impossible de tenir mes 12 heures, mais il faut vraiment que j'accélère pour passer sous les 13.

Feu ! Je donne un dernier coup de collier ... le mollet n'est pas content mais ça tient toujours, alors j'allonge le plus que je peux et relance tant que possible.

A ce moment, je suis à fond de chez à fond ... 12 heures 50 minutes de course et je commence à entendre la sono de l'arrivée ... punaise, je peux le faire ! J'ai encore assez de jus pour en remettre une couche.
Je jette quand même un oeil derrière si ça revient  ... non ça va, je me bats avec moi même.
Je sors des bois, encore quelques centaines de mètres. J'accélère encore ... et encore ... et encore.

Je passe la ligne comme si c'était la finale olympique du 100 mètres ... dans l'indifférence totale, je dois bien l'avouer.
Qu'importe, ces 12 heures et 55 minutes de course me ravissent. Tellement heureux de terminer ainsi et d'avoir finalement maîtriser ce magnifique parcours.
115ème au scratch, 33ème dans ma catégorie ... la satisfaction et la joie peuvent se lire sur mon visage, la détresse sur mes jambes.

Les coureurs de "mon groupe" en terminent aussi quelques instants plus tard. On échange quelques sourires, quelques poignées de mains et quelques mots ... mais c'est toujours les même syllabes qui sortent des lèvres :

-" Quelle aventure !!!"

Pour ma part, je suis content de voir que j'ai toujours mon mental de guerrier, qui m'avait sauvé sur la CCC, et qui me sauve encore aujourd'hui.
Content aussi de voir que les entraînements paient. Aujourd'hui j'avais les jambes et la caisse pour faire encore facile 20-30 km de plus à un bon rythme. C'est de bon augure pour la TDS qui approche.

Il va falloir gérer le dernier mois, mais je sens que j'irai à Chamonix beaucoup plus serein que l'année dernière ... mais bon, attention à tout excès de confiance, ça ne me réussit pas trop bien non plus. En attendant, je me réjouis déjà, je sens que ça va être encore énorme ... youpi :)

8 commentaires:

  1. c'est rassurant de voir que je ne suis pas la seule à me rétamer la tronche sur une course... LOL
    mais sérieux, les ultra-trails c'est vraiment un autre monde! bravo en tout cas et j'espère que le mollet va mieux :-)

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    1. Oui, merci Michèle, étrangement la douleur est partie presque aussi rapidement qu'elle est venue (en 1 semaine), je trouve ça très bizarre ... mais bon, la bonne nouvelle c'est que je pourrais de nouveau me rétamer la tronche la semaine prochaine sur la TDS ^^

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  2. J'était tellement à fond sur la lecture que limite j'ai levé les bras au ciel lors de ta fin de course ahahaha :) Génial ! C'est complètement dingue mais.. génial ! :) Bravo !!!

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    1. Si tu as levé les bras sur la fin de la course, je te crois bien capable de faire Superman sur l'escalator ha ha ha ^^
      Merci pour ton message en tout cas :)

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  3. Hello, super résumé, bravo à toi. Merci de me faire replonger dans la course, c'est bien marrant. Je pense que j'ai du sortir les mêmes phrases que toi concernant ce type d'effort :-) Même objectif, l'abandon à Salvagny, puis après une heure de repos, le moral revient et finalement la ligne d'arrivé se passe au courage. D'après ton résumé, je pense que j'ai fait parti des plots que tu as dépassé dans la dernière descente après le col de Moede ^^
    J'espère que tu as bien récupéré, on se croisera peut être mercredi sous la musique de Pirate des Caraïbes ;-)

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    1. Dossard 6910, fais moi signe si on se croise et sinon bonne course à toi ;-)

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  4. C'est toujours un plaisir de lire tes "aventures" car on peut qualifier cela d'aventure tant les récits sont palpitants et prenants.

    En tout cas, cela me conforte dans l'idée que le monde de l'ultra n'est pas réservé qu'à des machines de guerre mais au contraire qu'il est composé pour l'essentiel d'amateur au mental d'acier et débordant de passion pour cette discipline.

    J'ai hâte de lire le prochain récit. Bonne continuation et encore merci pour ce blog ;)

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    1. Merci :)
      Et sinon oui, il y a de la place pour tout le monde sur ultra... faut juste aimer ça ;-)

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