lundi 30 septembre 2013

GR 20 en 5 jours : 4ème journée.

"Un jour sans fin"

-" Debout les campeurs et ô les coeurs, n'oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd'hui. Ça caille tous les jours par ici, on est pas à Miami : On en est même loin et il faut s'attendre à quelques problèmes de circulation ce soir avec ce, comment déjà ... oui, ce blizzard ! "

Oui, je suis sûr que vous l'avez vu ce fameux film avec Bill Muray et avec cette non moins fameuse réplique qu'il entend tous les matins à son réveil.
Le gars vit tous les jours la même journée : il se lève le matin et il entend toujours les mêmes infos à la radio, il sort de son hôtel et croise toujours les mêmes personnes qui lui racontent toujours les mêmes choses, se rend à son boulot (journaliste) pour présenter toujours la même info et le soir, au lieu de rentrer chez lui, une tempête de blizzard l'oblige à passer une nuit de plus à son hôtel où il se réveillera le lendemain pour revivre exactement la même chose ... vous avez compris le concept ?

Eh bien moi, à l'aube de cette quatrième journée sur ce GR20, j'ai un peu l'impression d'être dans ce film.
Depuis que j'ai posé mes baskets en Corse, le rituel est le même :
Je me lève, à une heure où il n'y a pas si longtemps, je rentrais me coucher. J'ai mal aux jambes. Je déjeune le même genre de petit déjeuner qu'on servait dans l'armée Russe dans les années 60. J'ai mal aux jambes. Je pars marcher, voir au mieux courir avec quatre copains durant une douzaine d'heures et une quarantaine de kilomètres. J'ai mal aux jambes. J'arrive à l'hôtel. J'ai mal aux jambes. Je prends une douche. Je crois que je n'ai plus mal aux jambes. Je sors de la douche. J'ai mal aux jambes. Je mange et file me coucher à une heure où il n'y a pas si longtemps je me levais. Une bonne nuit de sommeil et c'est sûr, je n'aurai plus mal aux jambes ...

Pas de raisons pour que le scénario d'aujourd'hui soit diffèrent.
D'autant plus que, malgré avoir posé un ultimatum et avoir reçu complète satisfaction, je n'ai plus aucun prétexte pour me défiler. 
Le "petit quelque chose" que nous a préparé la dame de l'hôtel à Vizzanova est juste ... monstrueux :

Pas obligé de manger les chaussettes et la lotion désinfectante !

Pains complet, pain blanc, croissants, pain au chocolat.
Charcuterie, fromage.
Jus de fruits, pomme, figue.
Compote, yaourt.
Thé chaud, beurre confiture, Nutella (!), miel ...

N'en jetez plus, premier vrai petit déjeuner depuis trois jours, vous n'imaginez pas comme je suis heureux ce matin !
Et comme j'ai profité de la nuit pour cogiter sur ma galère d'hier, j'en suis arrivé à la conclusion qui si je n'avance pas, c'est parce que je gère très mal mes ravitaillements. Je ne sais pas comment font les copains, s'ils tournent sous cocaïne ou quoi, mais moi, si je n'ai rien dans le moteur, je n'avance pas.
Donc c'est le challenge de la journée : j'ai programmé ma montre pour qu'elle sonne toutes les 30 minutes, et toutes les 30 minutes, quelque chose de solide doit passer de ma bouche jusqu'à mon estomac.
Challenge numéro deux : arrêter de traînasser derrière et de ruminer comme un vieux con. Je me mets devant et je donne le rythme ! Ce sera plus simple pour contenir les fous furieux derrière moi et j'aurai plus de facilité à gérer l'histoire ... surtout qu'au pire, je peux tenter de m'accrocher au sac à dos de Daniel quand il me doublera.

Bon, elle est pas bien lancée cette journée ?
Ventre plein, reste du petit dèj calé dans les poches, 6h30 départ avec le lever du soleil pour :

Vizzanova - Refuge Usciolu : 49km, 2'700 D+ et 3'000 D-



Trace GPS et détails ici

Euhhhh ... un instant, laissez moi farfouiller dans mes notes, je suis pris d'un doute tout d'un coup, parce que la journée de la mort avec 44 km c'était bien hier, hein ?
Attendez que je relise le compte-rendu d'hier ... voui voui voui, je ne raconte pas de conneries ! Alors expliquez moi qu'est ce que c'est que ces 49 km aujourd'hui ? On m'aurait pipoter pour mieux faire passer la pilule ?
Moi je vous le dit, tout fout le camp ! C'est plus ce que c'était et les sorties entre copains étaient beaucoup mieux organisées avant ... bon en même temps je me remémore tellement de sorties vélo prévues pour 1h30, 2h00 grand max et qui se sont achevées bien 3h00 plus tard que je rigole tout seul, mort de lol, comme dirait les jeunes.

Bon, donc 49 bornes mais avec un peu moins de dénivelé et sans retour possible. On y va ou on y va pas  ! La prochaine nuit se fait en refuge d'altitude, donc sans aucun moyen de trouver une porte de sortie, faut allez au bout et comme j'ai grave la motiv', c'est parti !

On part donc de l'hôtel de Vizzanova et on doit récupérer le tracé du GR20 puisque notre nuit s'est passée à environ 3 km du chemin. On emprunte donc "Le sentier de La Femme Perdue", ce qui en soit est une sacrée information, voir même un pléonasme ^.^


La bonne nouvelle, c'est que si on ne veut pas se perdre, il ne faut pas suivre ce chemin indéfiniment. On ne sait pas jusqu'où a été cette Femme Perdue, mais nous, si on veut retrouver notre GR, il faudra à un moment donné bifurquer sur la droite, grimper un petit bout et retrouver le marquage rouge et blanc. Bref, après notre mésaventure du premier jour et de la "Variante Genevoise", je peux vous dire qu'on ne nous l'a fait pas à nous et on prend toutes les précautions nécessaire pour ne pas voir graver sur le panneau ci-dessus : "La Femme Perdue ... ainsi que 5 Touristes Genevois" !
Enfin, je dit "nous", mais en fait ce sont plutôt "eux", c'est à dire mes 4 camarades, qui s'occupent de reconnaître le parcours parce que moi, un peu comme au matin du deuxième jour, je ne suis pas encore complètement connecté et quand c'est comme ça, il vaut mieux ne pas trop m'en demander.

Bref, nous retrouvons sans trop de peine notre chemin et nous avançons avec le lever du soleil, ce qui en soit est toujours plaisant.


Ma montre sonne ma première demi-heure d'effort. Mouais, bon, je ne vais pas commencer à manger maintenant, je suis encore en train de digérer le petit dèj ... je passe mon tour. J'ai autre chose à faire parce que les gaillards devant moi entame la première grimpette du jour (400 D+) et je n'ai pas envie de ramer tout seul derrière comme hier.
Je mets donc mon plan à exécution et prends la tête de la caravane. J'impose mon rythme en essayant d'être assez rapide pour mes collègues histoire qu'ils n'aient pas envie d'aller plus vite que moi, mais pas trop rapide non plus pour ne pas être trop dans le rouge.


La journée est désormais bien lancée et les bip-bip de ma montre qui égrène les demi-heures sonnent régulièrement pour me faire penser à me ravitailler ... ce que je ne fais pas, bien entendu !
Tout concentré que j'étais à tenir le rythme dans la première montée, je n'allais pas perdre quelques dixièmes de secondes à m'hydrater, quelle folie.
Et puis maintenant que nous sommes sur les crêtes, j'ai autre chose à faire que d'ouvrir ma bouche, bien trop occupé que je suis à faire tourner les jambes et d'ouvrir bien grand les yeux pour profiter de l'environnement sublime qui nous entoure.


Et alors qu'on atteint tranquillement le premier refuge, je me rends déjà compte que je suis loin de mon planning de ravitaillement prévu : plus de deux heures d'effort et je me sens déjà un peu moins bien. Pas grave, mon ami Coca-Cola m'attend. Je me jette dessus et en profite pour avaler la moitié d'un de mes sandwich.


On repart ...

-" Debout les campeurs et ô les coeurs, n'oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd'hui. Ça caille tous les jours par ici, on est pas à Miami : On en est même loin et il faut s'attendre à quelques problèmes de circulation ce soir avec ce, comment déjà ... oui, ce blizzard ! "

Bon ok, on commence à connaître la chanson et on devient rodé. 15 kilomètres de parcouru ce matin, on a encore pas mal de boulot pour atteindre l'écurie de ce soir. Alors on en remet une couche. Daniel tentera d'impressionner une vache sur le parcours pour montrer qui est le chef, mais visiblement, ce n'est pas aujourd'hui qu'on se fera une pierrade :(


Les kilomètres défilent et malgré toute ma bonne volonté, je sens que je décroche petit à petit. Mon sac à dos me fait de nouveau atrocement souffrir et je ne sais plus comment l'ajuster pour mieux le supporter. Alors j'essaie toutes les techniques : bien serré contre moi, ou alors brettelles un peu relâchées pour qu'il repose sur mon bassin, ou bien même porté avec mes deux mains dans le dos ... mais rien ni fait : j'ai les trapèzes en feu et cette douleur m'obnubile. Ça en rajoute à ma fatigue et ça m'use nerveusement  ... chiant.
Je rêve à ce moment de pouvoir courir en toute liberté sans ce poids sur mes épaules, courir en toute légèreté, survoler le terrain, avaler les bosses ... mais non, je subis.
Je me fais distancer dans les montées mais parvient quand même à recoller dans les descentes histoire de ne pas rester seul.

D'ailleurs je remarque qu'il y a de sacrés piplettes dans le groupe. Je ne donnerai pas de noms par respect pour les familles, mais je trouve que Nicolas et Sandro n'épargnent pas leurs salives quand même.
Moi je parle toute la journée à mon boulot, alors quand je fais du sport, c'est un des rare moments ou j'apprécie le silence. J'aime écouter les oiseaux qui gazouillent, les arbres qui bruissent et le vent qui joue dans mes cheveux, c'est presque spirituel.
Mais bon, au moins il y a de l'ambiance et ça rigole quand même pas mal dans la troupe : c'est à celui qui trouvera la plus grosse connerie à raconter qui gagne, et à ce petit jeu là, il y a bien plus fort que moi ... de nouveau je ne donnerai pas noms, mais bon, on n'est pas bien nombreux quand même sur ce coup ^.^


A l'occasion d'un petit coup de cul, comme on dit, je me fais de nouveau un peu décrocher par le groupe et je me remets à pester contre ce qui devient à cet instant, un putain de sac à dos de merde ! Voilà c'est dit, mais là, la demande de divorce entre lui et moi est actée.
Je dois me faire violence pour tenter de revenir sur les quatre bavards, mais je dois bien avouer que je n'y arrive plus.
J'ai mal aux cuisses dans la descente et le poids de mon sac m'ôte toute ma légèreté pour survoler le terrain. J'ai la désagréable impression de me battre avec le terrain et moi même. Je songe un instant à déposer mon sac et à le brûler ... ni vu, ni connu. Pour ce qu'il reste à faire, je devrai bien arriver à me passer d'un slip propre et de ma brosse à dent non ?
Bon, je n'ai ni le courage de brûler ce foutu sac, ni même d'avancer plus vite.

Je retrouve quand même toute l'équipe qui m'attend au Col de Verde.
Vu la tête que fais Sandro en me voyant arriver, il comprend tout de suite que je suis dans le dur ... dans le très très dur, et on a fait environ que la moitié de notre journée.

Comme nous traversons un col de montagne, on a la chance de croiser la civilisation avec ... un restaurant-buvette ! Rhhaaa, elle est pas belle la vie ? Je vais pouvoir me poser une petite demi-heure et refaire le plein. Mon moral regrimpe tout de suite ... pour retomber dans des abîmes quelques instants plus tard : on est tellement bien reçu que ni une, ni deux, on refuse de laisser le moindre euro à des commerçants aussi mal lunés. Ça commence à être saoulant d'avoir cette impression de faire chier le monde, ras le bol, on dégage !
Le gars est vert de voir partir "cinq menus" et bien que je sois totalement d'accord avec cette décision, ceci ne fait cependant pas mes affaires, moi qui suis au bord de l'agonie.

Après quelques discussions, on met au point un plan de bataille pour la deuxième partie de la journée :

1- Premièrement je fais le tour des sac à dos pour grappiller des victuailles à mes compagnons. Nicolas qui avait emmené des stocks de barres de céréales pour passer vraisemblablement tout le mois d'août en Corse, me sera d'un immense secours. Je me retrouve donc avec plein de barres à Nicolas, une pomme et quelques bouts de sandwich de ce matin ... je devrai pouvoir terminer avec tout ça dans les poches.

2- On split le groupe en deux, c'est à dire que je décide de suivre une variante qui a l'air plus facile sur le papier: environ 10 kilomètres sur le plat avant d'attaquer la grosse difficulté du jour. Pendant les 10km, je devrais avoir le temps de reprendre un peu mes esprits. Les quatre autres, Sandro, Nicolas, Daniel et Thierry vont poursuivre sur le GR20 : au mieux on se retrouve au prochain col, au pire au refuge à l'arrivée ce soir.
Sandro me laisse les cartes et le descriptif des parcours histoire que je ne sois pas perdu tout seul parce qu'il va falloir que je bricole un peu pour suivre le bon chemin. Pour eux c'est plus simple : y'a qu'à suivre le balisage rouge et blanc.

La séparation se fait dans les cris, les larmes et la douleur ...

... mais nan, je déconne !!!

Sur le moment, je pensais que c'était une bonne idée pour moi de faire la variante, après coup, je n'en suis pas bien sûr :

En vert, le tracé de mes copains. En rouge, le mien.

Pour la première fois depuis le début de cette aventure, je me retrouve seul ... sensation d'abandon un peu étrange, limite flippante sur le moment.
Seul dans les bois en plein milieu de la Corse, faut juste pas croiser un Ours ou un Loup-Garou ...

Bon, comme je devrais aller plus vite que mes compères, j'en profite au bout d'une centaine de mètres pour rafraîchir mes pieds et mes mollets dans une rivière... Je tente l'option Fish-Spa, mais visiblement mes pieds sont trop crados, ça ne mord pas, zut !
Changement de chaussettes, c'est toujours ça de gagné en confort, puis j'entame ma petite collation de la journée : fin de sandwich, barres de céréales, pomme ... tout y passe. J'hésite à déterrer quelques racines, style Survivor ou Koh-Lanta, pour me la jouer gros-dur, mais de toute façon, il n'y a personne pour voir mes talents d'homme des bois.

Au bout de quelques kilomètres, je me dis qu'il serait peut-être temps que je cours un peu quand même, surtout que je suis sur un chemin qui ressemble vaguement à une route forestière, donc il y a moyen de faire avancer mon allure moyenne ... mais non, je rame, je suis seul, je n'avance pas et je peste de nouveau sur tout ce qui peut bien me contrarier : sac à dos, jambes douloureuses, cailloux mal rangés ... tout y passe !
Ces 10 kilomètres deviennent long comme un jour sans fin et comme j'ai fini de râler, je médite désormais sur mon sort et me pose un tas de questions ... existentielles :

-Qu'est ce que je fais là ?
-Pourquoi je cours ?
-Pourquoi m'infliger ça ?
-Quel est l'intérêt, quel est le but ?
-Serai-je plus heureux un bout du chemin ?
-Aurai-je trouvé un semblant de réponse ?
-Aurai-je couru plus vite avec des chaussures rouge ?
-Et surtout, comment fait la mouche pour se poser sur un plafond ? Salto arrière ? Salto avant ? Pirouette improbable ? Comment fait-elle ? Vole-t-elle sur le dos ?

Bon, pour être franc, ces 10 kilomètres étaient tellement, mais tellement long que j'ai trouvé quelques réponses à mes questions ... sauf pour la mouche ! D'ailleurs à ce sujet, si quelqu'un à une info, je suis preneur ! Pour les autres réponses, elles feront parties d'un prochain article sur ce blog ... vous avez vu comme ça en jette hein ? Gros suspense, ah ah ah :)

Mais à part ça je profite aussi surtout du silence (...) et du paysage :



Et comme j'arrive au terme de ma piste, il est temps de trouver le chemin qui va me ramener sur le GR20, mais là, problème : je dois trouver une petite chapelle cachée dans la foret et bifurquer sur un sentier à gauche. A première vue, l'homme des bois que je suis ne devrait pas avoir trop de difficulté à trouver son chemin, sauf que la chapelle était vraiment bien planquée et qu'il m'a fallu un bon quart d'heure pour la repérer. Quant au sentier sur la gauche, sur un tronçon de 100 mètres, j'en ai dénombré pas loin d'une dizaine !!
Ça part dans tous les sens, et là, je vous avoue que je commence sérieusement à flipper ... je me vois déjà dormir sur un tas de feuilles, me battre avec les loups à la tombée de la nuit, me couper la main et la faire cuire pour ne pas mourir de faim ... glauque !

Et là ... miracle !

Même double miracle, c'est pas possible autrement, je vous le jure !!!

Assis, tout penaud sur un rocher, et alors que je tournais et retournais ma carte dans tout les sens pour tenter de trouver le bon sentier à suivre, pris d'une soif aussi soudaine qu'étrange, le génie de la gourde Isostar m'apparut !

Dingue !!!

Après m'avoir fait son speech de présentation, genre qu'il était enfermé par des puissances Lactique Maléfique, il m'annonce le deal en récompense de l'avoir si gentillement libéré :
Je n'ai pas droit aux trois voeux classique (rupture de stock si j'ai bien compris ?) mais à un choix :

Soit il dépose là, maintenant, tout de suite sur le champs 100 millions d'euros en pièces de 20 centimes à mes pieds, soit il m'indique le chemin à prendre.

Me voilà bien embêter : j'ai déjà toutes les peines du monde à traîner ma carcasse, je ne m'imagine même pas porter un sac avec 100 millions d'euros en pièces de 20 centimes ... tu te rends compte du poids que ça doit faire et puis merde, qui est-ce qui va faire les rouleaux après ? N'importe quoi ces génies, quel deal pourri !
J'en arrive donc à la conclusion que je délire grave.
Mais bon, ça ne change rien à l'histoire car le génie est toujours planté devant moi et s'impatiente un peu quant à mon choix.
Bon, comme je n'ai pas envie, soit d'abandonner, soit de porter 100 millions d'euros, j'opte pour l'option "sortie de secours" please cher génie de la gourde Isostar.

J'ai à peine eu le temps de prononcer ces quelques mots que ma vision s'évanouit dans un nuage de fumée, et là, que vois-je arriver devant moi ? Un gars dans son 4x4 !!
Je vous rappel que je suis à cet instant en plein milieu d'une foret qui elle même est en plein milieu de la Corse et que le dernier semblant de civilisation est à plus de 10 kilomètres.

Double effet Kiss-Cool, je me dit que niveau hallucination, je fait assez fort en ce moment.

Bon mais dans le doute, je me dit que j'ai quand même tout intérêt à demander de l'aide à la providence.
Je tente donc de faire un geste amical vers le chauffeur. Je dit geste amical parce que le gars semble tout droit sorti d'une grotte et qu'il a l'air aussi aimable que le dernier Corse croisé plus tôt ... la discussion s'annonce pas simple et je m'attends plus à me faire traiter de Pinzutu (Touriste naze en Corse) que de recevoir de l'aide.

Je tremble ...

Je lui annonce brièvement ma situation et lui demande s'il connaît le bon chemin à suivre pour retrouver mes amis. Et là, il me répond que bien sûr, il connaît le bon chemin mais :

-" Vous ne le trouverez jamais !"

Je ne comprends rien, il veut me faire tourner en bourrique le Corse ou quoi ?

Bon, déjà il m'explique que j'ai une chance incroyaaaaaaaaable de l'avoir croisé ici, que la veille (dimanche) a été organisé un trail dans la région et que le parcours, encore balisé (!!!), emprunte le chemin désiré et qu'il est disposé à m'indiquer la marche à suivre pour me sortir de mon pétrin.
Je trouve que ça fait quand même beaucoup de "si" et de "chance" pour une seule et même situation et j'en viendrai presque à regretter les 100 millions d'euros ... et si c'était vrai ? je serai mort riche ah ah ah !!!

Le gars bourru du 4x4 m'explique donc que je n'ai aucune chance de trouver mon chemin sauf si je suis celui qu'il m'indique et qu'au moment où je verrai un marquage bleu sur les cailloux, faire demi-tour et trouver le minuscule sentier qui se faufile a rebrousse-poil entre deux buissons sur ma droite.

Je me mets à genoux et remercie au moins deux cent fois le Corse, finalement bien sympathique, de m'avoir tiré d'un si mauvais pas et file suivre ses instructions à la lettre.
5 minutes plus tard, je découvre le marquage bleu du trail du dimanche, fais demi-tour et trouve enfin ma porte de sortie ! Alléluia :)
Sûr que sans ses indications, je ne l'aurai jamais trouvé !
Quelle chance d'avoir croisé ce gars pil poil à cet instant, qu'il connaissait le chemin, qu'un trail ait été organisé (sur le bon chemin) la veille ...

... à ce moment là, je pense juste à noter sur mon petit carnet :

Important : En rentrant, penser à vérifier agenda, email, sms, carnet de rendez-vous de ma femme pendant que j'étais en Corse.

En attendant, je suis sur le bon chemin et ça, c'est excellent pour le moral, d'autant plus qu'après avoir glandé et mangé pendant pas loin de deux heures, je sens que je suis de nouveau d'attaque pour faire parler la poudre pour les 800 mètres de D+ qui se dressent devant moi.

-" Debout les campeurs et ô les coeurs, n'oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd'hui. Ça caille tous les jours par ici, on est pas à Miami : On en est même loin et il faut s'attendre à quelques problèmes de circulation ce soir avec ce, comment déjà ... oui, ce blizzard ! "

Eh oui, sauf que ce matin quand il parlait de blizzard, l'animateur radio n'en était pas trop loin parce que le temps se gâte franchement. Alors, avant de faire chauffer les cuisses, je sors la Gore-Tex, installe la protection de pluie sur mon sac et let's go, j'ai de nouveau hâte de faire monter les puls et de transpirer un bon coup.


J'entame donc la pente tout fier d'avoir eu autant de chance et tout fier aussi d'avoir de nouveau des jambes toutes neuves et un sac à dos tout léger, comme quoi le mental fait beaucoup.
Je grimpe, je monte et plus j'avance, plus j'accélère ... opérationnel à 100%, je sais qu'il reste environ 2 heures d'effort pour aujourd'hui, pas question de gérer ou de calculer : je fais tout péter !

A ce moment là je me demande juste où en sont les quatre autres. Vu toutes les pauses que j'ai prises et l'allure de limace que j'avais sur le plat, ils doivent sûrement être déjà au refuge à l'heure qu'il est. J'enrage un peu, j'aurai bien voulu terminer la journée tous ensemble.

La pluie commence à tomber de plus en plus fort. Je suis content d'être bien équipé pour le haut du corps ... par contre je commence à avoir les pieds trempés par la boue et la pluie, pas glop.
J'arrive en altitude, il pleut, c'est la fin de la journée et le froid s'installe petit à petit ... mmmh ... les conditions s'annoncent dures pour cette fin d'étape.

Et alors que je fais attention où je mets mes pieds pour ne pas glisser, je vois au sol des traces estampillées Asics ... j'en suis presque sûr, ce sont les empreintes des semelles des chaussures de Nicolas !
Je me re-glisse dans la peau de l'Indien : cette fois-ci c'est moi qui poursuit les méchants cow-boys. S'il y a les empreintes de leurs chaussures, c'est qu'ils sont passés il n'y a pas si longtemps, d'ailleurs il me semble entendre leurs voix !

Je m'arrête. Je suis aux aguets. J'écoute.

Rien.

J'ai dû rêver.
Je reprends mon ascension avec une certaine excitation et avec le fantasme de pouvoir reprendre mes copains. Je m'active donc de plus belle, d'autant plus que je pète le feu.
De nouveau les traces de pas et de nouveau des voix.
J'en suis presque sûr d'avoir entendu quelque chose, je m'arrête, scrute l'horizon mais de nouveau, rien.
Pas grave, j'ai l'intime conviction qu'ils sont là devant à quelques centaines de mètres.
Je suis dans un état d'excitation terrible et je sens un flot d'adrénaline se déverser littéralement dans mon corps, me poussant à monter toujours plus vite, encore plus vite ... grisant !

Cette fois-ci j'entends nettement les voix des piplettes, je n'ai plus de doutes, ils sont là et dans quelques instants la jonction sera faite.

Je les rejoins, je suis en transe !
Heureux de les retrouver, de terminer l'étape ensemble :)
Sauf qu'à ce moment, je ne peux retenir mon corps et mes jambes en feu : il faut que je cours, que je grimpe, que je monte vite, toujours plus vite.

Thierry et Sandro qui se font reprendre par les nuages.

Je passe donc Sandro et Nicolas qui ont l'air un peu dans le dur, puis Daniel et enfin Thierry qui hallucine de me voir monter ainsi alors que quelques heures plus tôt, je peinais à mettre un pied devant l'autre.
J'arrive sur les crêtes en compagnie de Daniel et Thierry qui ont pris ma roue et je suis dans un état d'euphorie incroyable.

Slippery when wet...pour les connaisseurs ^.^

Thierry toujours sourire :)

Grand retour du fluo chez les traileurs ^.^

Le panorama sur les crêtes est juste incroyable à ce moment là : à l'Est il pleut et à l'Ouest, il fait beau. On a l'impression d'être sur la ligne de partage.
En exagérant un peu, je pourrai dire que mon bras droit tendu est au soleil alors que le gauche est sous la pluie ... phénomène incroyable, magnifique ... quelle chance, encore une fois.

Malgré tout, la fatigue s'installe chez tout le monde et c'est avec un certain réconfort que nous apercevons le refuge d'Usciolu un peu plus bas, reste encore 20 minutes de descente et c'est repos !

Refuge d'Usciolu

Refuge atteint au bout de 11h30 d'effort. Quelques stats depuis le départ :

148 kilomètres
10'100 D+
8'700 D-
48 heures 30 minutes de course.

Tout le monde est bien entamé et le réconfort d'avoir atteint notre but de la journée est de courte durée : comme nous arrivons les derniers, nous nous rendons compte que le refuge est plein à craquer et qu'on arrive trop tard pour le repas du soir.


Daniel a beau sourire, la nuit s'annonce compliquée, mais finalement, après discussions et avoir montré notre réservation (ouf, quelle bonne idée), le gardien nous trouve cinq matelas dans la pièce qui sert de dortoir et où sont déjà entassés une vingtaine de randonneurs.
On arrive aussi à négocier un plat de pâtes ... pour l'entrée, le fromage ou le dessert (et je ne vous parle pas de protéines) faudra repasser.
J'ai envie de crier, mais bon, je sens que ça ne servirait pas à grand chose.

On mange donc sur le coin d'une table, voir même debout pour certains, et c'est le moment pour échanger quelques paroles avec les randonneurs qui nous regardent tous d'un air étrange depuis notre arrivée :
C'est quoi ces gars en baskets, short moule-boules et sac à main dans le dos ?
On explique donc le délire et le défi de réaliser le tracé en 5 jours. Certains grincent des dents (n'importe quoi), d'autres sont subjugués (wahou les warriors) mais on ne s'éternise pas trop, il est tard, on est trempé, crevé ... une bonne douche et au dodo.

Ah oui ... refuge de montagne veut dire eau potable uniquement limité au remplissage des gourdes. Donc wc chimique à la Turc et reste des sanitaires ... inexistant. La douche ce sera pour un autre jour, comme pour le fait de faire sécher les affaires ou de dormir au calme et au chaud.



Je vous laisse imaginer (soyez fous, vous êtes à dix mille de la réalité) à quoi peut ressembler le fait de dormir dans une pièce sans ouverture (mis à part la porte) où sont entassées 20 personnes qui viennent de marcher/courir sous la pluie. Leurs affaires trempées, leurs chaussures boueuses et puantes ainsi que leurs sacs fumants sont déposés devant chaque matelas.
Imaginez ces 20 personnes ... aucune n'a pris de douche, n'a vu de savonnette ni même l'ombre d'une brosse à dents. Imaginez la promiscuité ...

Ambiance ...

La nuit risque d'être courte...

5 commentaires:

  1. j'adore comme d'hab!!! :-)
    rétrospectivement... tu penses que tu mangeais assez?
    Michèle

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bah franchement, ce fut le gros point noir pour moi de l'aventure. J'ai l'avantage d'être plus qu'affuté 365 jours par an ... donc si je ne remplis pas le reservoir, sur du long comme ici, je me choppe de coups de mou de la mort :(
      On apprend tous les jours ;-)

      Supprimer
  2. Salut,

    J aimerai savoir le nom de votre logement à Vizzavona?

    Sympa le CR en tout cas

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour,

    Déjà bravo pour ce défi ! nous nous lançons dedans début juillet.
    Je n'arrive pas à joindre le parc régional de Corse et j'aurais voulu quelques renseignements sur le refuge d'Usciolu. Nous partons sans sac de couchage (comme vous j'imagine), y a t-il des couvertures mises à disposition? Vous dormiez à même le matelas? Car il parait qu'il y a beaucoup de punaises de lit... du coup nous hésitons avec la solution "tente" louée par le refuge mais nous avons un peu peur d'avoir froid...
    Merci de votre aide :) Mathilde

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour,
      Nous avons pu avoir des couvertures au refuge car nous n'en avions pas avec nous ... maintenant concernant le confort et l'hygiène, à refaire c'est sûr que je choisirai de louer une tente (+couverture si c'est possible).
      En espérant vous avoir un peu aidé ;-)
      Bonne rando !

      Stéphane

      Supprimer